« Guantanamera » est de retour au cinéma

Au rythme entraînant de la chanson « Guantanamera », les excellents Tomás Gutiérrez Alea (dit Titón,1928 – 1996) et Juan Carlos Tabío réalisent une vraie merveille.

Tomás-Gutiérrez-Alea
Tomás Gutiérrez Alea, réalisateur ©Guantanamera
Guantanamera
Guantanamera

Avec « Guantanamera » les deux cinéastes, de Fraise et Chocolat (1993), baladent le spectateur, juste au-dessous du tropique de Cancer, sur l’île de Cuba (*).

Dans une promenade en corbillard entourée d’humour, du Sud-Est au Nord-Ouest de l’île. De Guantánamo à La Havane, en passant par Santiago de Cuba, Bayamo, Sancti Spiritus, Santa Clara, Cardenas, Matanzas. Où tout au long de la route les paroles de la traditionnelle chanson populaire « Guantanamera », de Joseíto Fernández (1928), s’adaptent astucieusement au scénario.

Juan-Carlos-Tabío
Juan Carlos Tabío©Guantanamera
Corbillard
Corbillard ©Guantanamera

C’est une comédie qui critique et secoue avec beaucoup d’amour. Ainsi Gutiérrez Alea et Tabío mettent en scène, avec sarcasme, l’histoire d’un adepte féru de la bureaucratie. Adolfo (Carlos Cruz), est fonctionnaire des Pompes funèbres. Ce bon fruit du castrisme a des ambitions de monter en grade. Donc pour lui on doit suivre rubis sur l’ongle les règles planifiées par le système.

Une décision compliquée à mettre en place

Ainsi l’État ordonne un nouveau plan pour économiser de l’argent lors du transfert des défunts. Et Afonso décide de repartir les morts sur le territoire, de manière à ce que chaque région prenne en charge les cercueils qui passeront sur leur terre.

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Yoita et Cándido ©Guantanamera

À ce moment là l’inoubliable actrice cubaine Georgina Travieri Cecilia Valdès (Conchita Brando) est de retour dans le Pays. Elle a joué Madame Butterfly. Après 50 ans d’absence, l’actrice revient à Guantanamo pour recevoir un prix. Mais aussi pour retrouver son ancien amoureux qui l’attend toujours, l’attachant musicien Cándido (Raúl Eguren). Georgina Valdès, Yoyita, est la chère tante de l’épouse d’Afonso qui s’appelle aussi Georgina, dite Gina (Mirtha Ibarra). La belle et souriante Gina a quitté le poste professeur d’économie à l’Université à la demande de son mari.

Un amour intense mais de courte durée

Mais peu de temps après leurs retrouvailles, Yoyita décède d’une attaque cardiaque dans les bras de Cándido. Du coup Afonso profite de la situation pour vérifier l’application de son projet, et exaucer son souhait d’être enterrée à La Havane.

Gina
Gina ©Guantanamera

Avec Gina, et le chauffeur Tony (Luís Alberto García), Cándido aussi partie du convoi du dernier voyage de sa bien aimée.

Ensemble ils parcourent le pays en voiture funèbre dans ce long périple. Où chaque étape, au long des villes traversées, est parsemée par des surprises et des péripéties. Ce sont des situations comiques, des débrouillardises, des imprévus qui pimentent la route, dénonçant les difficultés des déplacements sur l’Île.

En outre ils sont confrontés à différentes pénuries qui mettent en évidence l’autosuffisance alimentaire, par des commerces vides où il n’y a que des cigarettes à vendre. Au-delà des coupures d’électricité, la généralisation du système « D », et trafics en tous genres. Mais aussi l’incompétence, le machisme. Enfin tout y passe.

Guantanamera et la crise cubaine

Adolfo
Adolfo ©Guantanamera

En effet Guantanamera (1995) a été tourné en pleine crise du castrisme. Et témoigne aussi de l’anticonformisme de Gutiérrez Alea. Son épouse et actrice Mirtha Ibarra, raconte : « L’action se situe pendant la « période spéciale ». A cette époque, la réalité quotidienne était devenue très dure et Titón reprend le thème de la bureaucratie. Mais cette fois avec un regard critique rempli d’humour noir. Et cela le rendit très heureux. Titón disait que Guantanamera était un documentaire, parce que ce qui paraît absurde dans le film est ce qu’il y a de plus normal et quotidien dans notre réalité. En outre il pensait que Fraise et Chocolat serait son dernier film. Mais la vie, ou plutôt la mort, fut moins pressée et lui permit de faire un film précisément sur elle. » Ici, « la faucheuse » est illustrée également par l’image de cette petite fille habillée en marinière dans les visions de Cándido.

Un plan difficile à mettre en place

Mariano
Mariano ©Guantanamera

Ainsi les sérieuses difficultés de l’Île compliquent le succès d’Adolphe. Puisque le temps du parcours est chronométré. Résultat, il a du mal à suivre le plan prévu. Donc il se retrouve dans la situation de l’arroseur arrosé, et pris au piège de sa propre procédure. Puisque dans chaque ville il doit se plier à la bureaucratie locale, avec le déplacement du cercueil dans un autre véhicule.

Par ailleurs d’incroyables rencontres ont lieu. Comme celle du camionneur, et coureur de jupon, Mariano (Jorge Perugorría). Un ancien élève de Gina à la Faculté, qui est toujours amoureux de l’enseignante.

En somme ce road-movie n’a pas pris une ride. C’est un film d’espoir d’un de plus importants cinéastes cubains, lucide et humaniste. Guantanamera est aussi un message d’espoir, comme dit l’un des personnages « à force de taper la tête contre le mur, le mur cède ».

Guantanamera/ Guajira Guantanamera/ Guantanamera/ Guajira Guantanamera/ Yo soy un hombre sincero/ De donde crecen las palmas…

Sortie le 17 octobre 2018 sur tous les écrans français.

NOLDS.

Note :

(*) Dans un autre registre, lire Toca Léon de Dominique Lin pour s’évader et pénétrer dans les profondes racines africaines de Cuba. Bien loin des belles et idylliques plages touristiques, ce beau roman visite Cuba en passant par la musique des tambours et des chants Vaudous.