La lanterne magique fait toujours rêver

« De la lanterne magique au cinéma(1) », par Gérard Krémer, c’est l’histoire du cinématographe expliquée d’une manière passionnante.

La lanterne magique est ici racontée par un collectionneur. Tel un magicien Gérard Krémer explique, avec des mots simples, l’évolution des secrets techniques et des mystères historiques des premières images animées jusqu’au cinéma.

Voilà comment Gérard montre que, depuis son invention, la lanterne magique n’a pas arrêté de nous faire rêver.

Lanterne-magique
Lanterne magique Lapierre ©Photo G. Krémer

Une lanterne magique pour dompter la lumière

Or nos ancêtres rêvaient déjà de dompter la lumière. Et les premières expériences de projections d’images animées révèlent des possibilités d’utilisation de la lumière, dans le domaine des loisirs. Notamment avec les lanternes magiques, les jouets optiques et les projecteurs de films.

Théâtre d’ombres

Ainsi dans un théâtre d’ombres, les silhouettes éclairées servent à projeter leur ombre sur un écran blanc. La silhouette des marionnettes, ou des mains, se découpe sur un écran grâce à une source lumineuse placée derrière elles.

Or ce spectacle serait originaire de Chine. Mais avant d’arriver en Europe, vers la fin du XVIIe siècle, il se développe en Asie du Sud-Est comme à Java. Où, assis derrière un écran, le marionnettiste ou dalang (montreur d’ombres) manipule les silhouettes découpées dans de la peau de buffle, ajourée et peinte ; pour raconter une histoire au moyen d’images en mouvement. Tel le Wara-sumbrada, un personnage célèbre du théâtre d’ombres de Java. Mais, en France, l’origine revient à Séraphin.

Les Ombres de Séraphin

En fait, c’est vers 1770 que Dominique-François Séraphin connaît la célébrité et presque la gloire. Car cet artiste anime avec une profonde habileté des plaques de carton. Dont les contours sont découpés, pour reproduire la silhouette d’objets ou de personnages. Alors de là à dire qu’il est le créateur des ombres chinoises, il n’y a qu’un pas.

Néanmoins les premières ombres remontent à près de 200 ans et nous viennent d’Orient. Les Kaghi, ou ombres des mains, avec ou sans accessoires, sont une récréation très prisées en Chine, de même qu’à Java et en Malaisie. S’il est vrai que Séraphin n’a pas créé les ombres. On lui doit d’en avoir fait un art qui força l’attention du public, particulièrement à Paris ou à Versailles. Où la jeune souveraine Marie Antoinette fait appel à lui pour donner une représentation au Palais. Et voilà qu’en septembre 1784 il s’installe dans la galerie de Valois du Palais-Royal. Alors le Tout-Paris de l’époque accourt chez Séraphin.

Mais ces ombres ne sont pas encore le cinématographe, ni les dessins animés. C’est seulement une étape et un cheminement vers le fameux cabaret du Chat Noir.

 

Ombres-chinoises
Ombres chinoises ©Photo G. Krémer

Le Chat Noir, théâtre d’ombres

Le Cabaret du Chat Noir, fondé par le peintre et caricaturiste Rodolphe Salis (1851-1897), est l’un des grands lieux de rencontre du Tout-Paris et le symbole de la Bohème à la fin du XIXème siècle. Situé au pied de la Butte Montmartre, il est l’un des bastions des artistes. Allant du peintre Adolphe Léon Willette, en passant par les chansonniers Aristide Bruant et Jules Jouy, l’humoriste Alphonse Allais, les poètes Charles Cros (inventeur du paléographe, prototype du phonographe), Albert Samain et Jean Richepin.

Ainsi, dès 1895, il réunit déjà l’élite des lettres et des arts de l’époque, dont Anatole France. Salis ouvre son théâtre d’ombres en reprenant une vieille tradition remontant à l’Antiquité. Soit raconter une histoire par l’image, devant une toile tendue. Accompagné d’Henri Rivière, qui en est l’inventeur, ils créent ensemble un spectacle de qualité, un théâtre d’ombres qui pousse ce spectacle et cette technique à leur apogée.

En effet, ils réalisent de véritables merveilles. Les héros des histoires sont découpés dans du carton, remplacé plus tard par du zinc. C’est le célèbre Caran d’Ache qui exécute des dessins légendaires, en retraçant le cycle de la Grande Armée sous forme de silhouettes de soldats métalliques.

Lithophanie

Alors, cette fois, les techniques de projection basées sur les ombres donnent naissance à d’autres applications décoratives, comme la lithophanie.

La lithophanie c’est une plaque de porcelaine, ou de pâte de verre, gravée en creux. Lorsqu’on l’éclaire, les motifs apparaissent par transparence. Ce sont les reliefs plus ou moins prononcés dans la matière qui donnent à la composition toutes les nuances de gris, pour reconstituer l’image. Un procédé magique  !

Lithophanie
Lithophanie ©Photo G. Krémer

La lanterne magique, une camera obscura inversée

Or, en 1693, Pierre le Lorrain, abbé de Vallemont, donne cette définition  : «  La lanterne magique est une machine d’optique que l’on nomme magique, sans doute à cause de ses effets prodigieux et des spectres et monstres affreux qu’elle fait voir [dans l’obscurité sur une muraille blanche]. Et que les personnes, qui n’en savent pas le secret, attribuent à la magie  ».

En clair, une lanterne magique est constituée d’une boîte, en tôle peinte, en cuivre, voire en carton, et parfois recouverte de céramique. Sa forme est ronde, cubique ou cylindrique, et surmontée d’une cheminée, pourvue d’un jeu de lentilles, d’un réflecteur parabolique. Elle nécessite une source de lumière composée, avant l’invention de la lampe électrique ou à arc, d’une lampe à pétrole ou à huile.

On utilise des plaques de verre recouvertes d’images peintes qui peuvent alors être projetées sur un écran blanc, dans l’obscurité. Alors tous les sujets sont abordés. Entre autres : diableries, vues grotesques, érotiques, satiriques, politiques, religieux, historiques, scientifiques, contes et légendes, paysages, nature.

En outre, cette lanterne magique permet le trucage et offre une véritable féerie lumineuse. En fait elle est la fille de la science, de l’optique, de la magie et des arts. Une bien belle histoire  !

La lanterne magique

Ainsi l’invention de la « Laterna Magica » est née en 1659 dans le laboratoire du célèbre astronome et physicien hollandais Christaan Huygens (1629-1695). Cependant la première projection n’a rien de scientifique, il s’agissait d’une Danse de mort. Mais les projections de Huygens sont réservées à son entourage proche, et jamais il ne montrera sa lanterne en public.

La lanterne optique, ou magique, qui apparaît au XVII siècle est pourtant l’ancêtre du projecteur de cinéma. Or l’invention revient au père jésuite allemand Athanasius Kircher (1602-1680). Il formule les principes de la projection dans son ouvrage Ars Magna Lucis et Umbrae, paru en 1643, où il décrit la « Laterna magica ». Ce savant enseigne les mathématiques, l’hébreu et s’intéresse aux hiéroglyphes égyptiens. C’est lui qui exposa les propriétés de la lentille et de la projection d’une image.

Puis à partir de 1680, la lanterne est décrite par quelques jésuites et plusieurs savants allemands. Dont Johannes Zahn (1641-1707) de l’ordre des Prémontrés, auteur du livre Occulis artificialis. Où il expose le principe de la combinaison du projecteur et du film. Par ailleurs, les Allemands utilisent la lanterne pour des applications pédagogiques et scientifiques.

Par exemple, Zahn utilise des images sur verre montées sur un disque circulaire qui peut tourner devant les lentilles de la lanterne, pour donner une impression de mouvement. Il invente un modèle de projecteur de table, qui jeta les bases de la lanterna magica qui fait son apparition à la fin du XIXe siècle. Les procédés de peinture sur plaque de verre sont révélés par les Allemands au XVIIIe siècle. Bref les Allemands sont auteurs d’une impressionnante production de peintures sur verre de grande qualité.

Les colporteurs

Or à partir des années 1670 la lanterne parcourt le monde grâce aux colporteurs. Mais aussi grâce à quelques jésuites comme l’Italien Claudio Grimaldi, qui fait des projections en Chine, vers 1672.

Alors l’on distingue deux types d’opérateurs. D’une part, quelques savants bohèmes qui parcourent l’Europe avec dans leur bagage une lanterne. Comme, par exemple, le Danois Thomas Walgenstein qui organise, à Paris, en 1670, une importante séance de projection au roi du Danemark, Frédéric III ; dans laquelle il ose lui présenter une figure de la mort. Du coup, le roi se montre totalement fasciné par l’image lumineuse, et la redemande à plusieurs reprises. Puis, quelques jours après, il meurt. Résultat : cela augmente à la fois le prestige de Walgenstein et la réputation diabolique de la lanterne.

D’autre part, la catégorie de colporteurs, constituée en France par des Savoyards et des Auvergnats et par des Trentins en Italie, vont de ville en ville, de village en village pour montrer cette curiosité. Ainsi leur popularité devient très grande dans l’Europe des Lumières avec un équipement pourtant très basique car la lumière fournie par le lumignon de la lanterne est faible. Mais la flamme dansante de la lampe contribue au mystère de l’image projetée. Il y en a pour tous les goûts  !

Voltaire, un lanterniste

Surtout le meilleur lanterniste et bonimenteur que l’on puisse rêver est Voltaire en personne. Il possède à Cirey un cabinet de physique, où il utilisait parfois sa lanterne magique pour distraire ses convives. En 1748, selon le témoignage de Mme de Graffigny, Voltaire projette des caricatures de son entourage, avec énormément d’humour !

Et à la fin du XVIIIè siècle, la lanterne magique renoue avec son passé sulfureux. On va alors assister alors à une « véritable tempête optique  » d’après l’expression de l’Allemand Johannes Georg Krünitz, en 1794, pour désigner la fantasmagorie. Basée sur de nouvelles techniques et de nouveaux sujets, elle va bousculer les spectateurs par des apparitions de fantômes optiques notamment grâce à Robertson.

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Lanterne magique à plaque circulaire ©Photo G. Krémer

La Fantasmagorie de Robertson, la lanterne de peur

Quelques années après Paul Philidor, c’est un étrange prêtre liégeois, Étienne Robertson, qui met en pratique des divertissements macabres de fantasmagorie, avec un immense succès.

Robertson fait les premières projections de lanterne magique vers la fin du XVIIIe siècle (1797). Il utilise un appareil  révolutionnaire, le fantascope.

Le fantascope

Or pour faire une rétroprojection Robertson place le fantascope derrière un écran. Il muni son fantascope, qui est lourd et encombrant, de roues pour le monter sur des rails afin de pouvoir bouger. Il le relaye aussi à un diaphragme manuel, monté sur un objectif achromatique à crémaillère, pour déplacer les lentilles, grossir et avancer l’image vers le spectateur. Ou au contraire la réduire à la manière d’un zoom. Tout ceci sans que le public puisse voir et imaginer le système. Ainsi sa lanterne, cachée au public, affiche l’image sur un écran mince et transparent faisant l’effet d’une apparition surnaturelle.

D’autant plus que cet effet est accentué quand Robertson présente son spectacle dans la chapelle désaffectée du Cloître des Capucins, près de la place Vendôme. Alors un journaliste de l’époque déclare : « Robertson est passé maître dans l’art de faire apparaître des spectres et des fantômes. Toutes les puissances de l’au-delà lui obéissent ». De là vient le nom donné aux premières lanternes magiques du XVIIe siècle « lanterne de peur ». En raison de l’effet produit sur le spectateur, par son ignorance en matière d’optique et du procédé !

Avec le temps, ses secrets sont révélés, spécialement au cours d’un procès intenté par Robertson, lui-même, contre les contrefacteurs. Ce qui fait apparaître des fantascopes un peu partout dans le monde. De Paris à Odessa, et des frontières de la Sibérie jusqu’à l’extrémité de l’Espagne. Leur fabrication cesse vers 1860 – 1870, et la lanterne magique se débarrasse vite de sa réputation diabolique. Dès lors la lanterne magique se perfectionne non plus pour effrayer. Mais pour émerveiller  !

La lanterne magique à la conquête du monde

Outre les projections fantasmagoriques de Robertson, il existe des projectionnistes nomades qui parcourent les grandes villes européennes au début du XIXè siècle.

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Lanterne magique en porcelaine ©Photo G. Krémer

La lanterne magique parcourt ainsi le monde pendant trois siècles. Et le montreur d’images en voyage porte sa lanterne magique sur le dos.

Lampascope

À cette époque, la lumière était fournie par une lampe à pétrole. Ainsi, au milieu du XIXè siècle, se développent les projections familiales à l’aide de lanterne magique, appelées lampascopes. Car elles utilisent comme source de lumière une lampe de table à paraffine, le lampascope prenant la place du globe de la lampe.

Les images de ces lanternes sont peintes sur une plaque de verre à la file, comme une bande dessinée. On les passe lentement dans la lanterne, pour reproduire l’impression du mouvement sur l’écran.

Les plaques mécaniques

Mais à toutes ces projections il manque souvent la reproduction du mouvement. Alors les images fixes peintes sur verre s’animent avec l’appui d’astucieux systèmes mécaniques ; qui permettent de faire bouger le sujet et créer le mouvement sur l’écran.

Par exemple, avec la plaque à levier qui se compose de deux plaques de verre superposées et mobiles entre elles. Au moyen d’une roue dentée, on peut faire bouger l’un des verres tandis que l’autre reste fixe.

Certaines plaques, comme les chromatoscopes, se composent de deux disques rotatifs montés sur des anneaux de cuivre, mus dans des directions opposées, à l’aide d’une courroie de transmission. Tout devient alors plus magique  ! Les plaques, rectangulaires ou circulaires, projettent de petits tableaux peints souvent animés aux couleurs translucides, comme les vitraux des églises. Et la peinture se fait sur « verre français, le meilleur », d’après l’Allemand C. G. Hertel. Les couleurs à huile sont alors écartées, en raison de leur opacité. On leur préfère la peinture à l’eau qui reste plus stable.

Des fabricants célèbres

Dans ce XIXe siècle ce sont les fabricants de jouets aussi qui s’emparent de la lanterne magique. Elle pénètre dans les foyers pour animer les soirées familiales. Elle appartient désormais au passé, aux souvenirs des spectacles d’antan, de fantasmagories et des projections familiales.

Et ce sont les Allemands qui ouvrent véritablement la voie à l’industrialisation des « lanternes jouets » pour enfants, fabriquées en fer blanc peint et très bon marché. Comme : I. F. Rose, fabricant de Nuremberg, distribué par Georg Hieronimus Bestelmeier et Georg Bathazar Probst.

Ainsi Nuremberg, connue depuis le Moyen-Âge pour la fabrication des jouets, avec 195 fabricants recensés, devient le centre de production le plus important des lanternes pour enfants et familles. Notamment avec les firmes Ernst Plank, Jean Schoenner, Max Dannhorn, Johann Falk, Georges Carette, Carl Müller, les frères Ignaz et Adolf Bing, …

En Allemagne, Krüss à Hambourg et Liesegang à Düsseldorf se spécialisent dans les lanternes professionnelles. Par ailleurs, les opticiens anglais trouvent de nouvelles peintures, « d’une transparence et d’une fraîcheur exceptionnelles ».

En France, Alfred Molteni s’illustre en produisant des appareils d’optique jusqu’au début du XXe siècle, au côté de deux très grands fabricants français, Auguste Lapierre et Louis Aubert. On leur doit de célèbres modèles très recherchés aujourd’hui, tels : le Bouddha, la Tour Eiffel ou la Pagode. Les plaques de verre peintes de Lapierre sont identifiables par leur encadrement de papier vert.

Très vite, se créent deux marchés différents. Ceux des lanternes magiques pour enfants et ceux des lanternes de projections pour adultes (professeurs, conférenciers, projectionnistes, professionnels).

Phantamascope

En Angleterre, l’opticien londonien Philip Carpenter met au point, vers 1823, des lanternes doubles. Dites phantamascopes. Ces lanternes sont équipées d’un peigne pour effectuer des fondus-enchaînés entre les deux appareils.

Par la suite, les Anglais se spécialisent dans les gros appareils pour professionnels, en acajou, avec deux ou trois objectifs en cuivre (1880). Les lentilles sont disposées de telle manière que les images projetées coïncident et se superposent en se fondant, et apparaissant progressivement.

Au cours du temps, la lanterne magique devient un objet de collection. Vu que Marcel Proust(2) (1871 – 1922) évoque les séances de projections de son enfance à Combray. Le réalisateur suédois Ingmar Bergman (1918 – 2007) place la lanterne magique dans le récit de l’ un de ses films Fanny et Alexandre (1982). Et il donne comme titre à son autobiographie « Lanterna Magica » (1987), en hommage au premier appareil de projection lumineuse de l’histoire.

Les images deviennent vivantes

Puis, en 1832, le Belge Joseph Plateau construit un appareil appelé phénakistiscope, qui donne l’illusion du mouvement.

Plaque-pour-lanterne-magique
Plaque pour lanterne magique ©Photo G. Krémer

Au même moment, et d’une manière tout à fait indépendante de lui, un professeur de mathématiques autrichien de l’Institut Polytechnique de Vienne, Simon von Stampfer fait la même découverte en perçant un disque de fentes. Sur lequel sont dessinées douze images, ou plus, représentant les phases d’un mouvement. Le disque en rotation observé dans un miroir offre un mouvement continu par la succession d’images qui paraissent mobiles. Car la suivante rejoint celle regardée sans coupure due à la persistance rétinienne de l’œil.

Il existe aussi une variante à ce système basé sur le même principe.

Elle utilise un tambour perforé avec des fentes, au travers desquelles on observe à l’intérieur de l’appareil des bandes de papier amovibles supportant des images animées. Appelé initialement dedaleum puis zootrope. Cet appareil est inventé, en 1834, par l’Anglais William George Horner (1786-1837). Certains de ces zootropes disposent d’une bougie au centre du cylindre pour éclairer les bandes.

La lumière, clef de la projection

Aussi un autre Autrichien Franz von Uchatius (1811-1881), photographe, physicien, chimiste, officier d’artillerie, concurrent d’Alfred Krupp dans la construction des canons d’acier, a en tant qu’activité secondaire et hobby : la cinématographie.

Par conséquent, Uchatius a l’idée de combiner la faculté de projection qu’offre la Lanterne magique avec le principe du phénakistiscope.

Du coup il dispose en demi-cercle devant un écran une série de lanternes magiques, de manière que leurs rayons s’y concentrent. Puis il place, dans chacune d’elles, des verres peints représentant les phases successives du mouvement. Enfin il passe, très rapidement, une torche derrière elles. Résultat : il découvre que les images s’éclairant successivement sur l’écran produisent un mouvement. Et dès 1853, il projette douze vues disposées en couronne.

Alors qu’auparavant le mouvement n’est perceptible que par une seule personne, avec son système qui exploite la lumière, Uchatius permet à un grand nombre de spectateurs de suivre le spectacle en même temps. C’est le début de nouvelles inventions !

Le théâtre optique de Reynaud

En 1877, Emile Reynaud (1844 – 1918) construit le praxinoscope. Le praxinoscope améliore le zootrope par l’utilisation d’un tambour à miroirs. Ces miroirs éliminent les intervalles sombres entre les images qui deviennent totalement vivantes.

Dès 1882, il combine cet appareil avec un appareil de projection. Puis quelques années plus tard, il utilise de longs rubans d’images, de 4 x 5 cm, en feuille de gélatine perforées avec un trou entre chaque image. Dont les dessins sont blancs sur fond noir ou de couleur, pour les incruster sur des décors projetés. Et, voilà, le théâtre optique est né.

Alors installé dans le « Cabinet fantastique » du Musée Grévin, Reynaud fait sa première projection le 28 octobre 1892. Soit exactement trois ans et deux mois avant celle des Frères Lumière au « Salon Indien » du Grand Café à Paris, le 28 décembre 1895. Bref, pendant les dix années suivantes, Reynaud organise 12.800 représentations au Musée Grévin et réunit 500.000 spectateurs. Ces résultats sont vraiment extraordinaires. Car il projette de véritables images continues, en couleur, à une époque où la cinématographie n’est que balbutiante.

Les lanternistes

D’un autre côté, concernant les lanternistes, même s’ils se déplacent avec un matériel encombrant (plaques, grosse lanterne à plusieurs objectifs, tube à oxygène et hydrogène), pour eux le réel problème est l’éclairage. Car une lampe à pétrole n’est pas suffisante pour une grande séance de projection.

Certes il y a la lampe à arc, qui est idéale pour bénéficier d’une forte puissance lumineuse. Mais, où trouver l’électricité nécessaire à la campagne au XIXè siècle ?

Aussi, généralement, les lanternistes utilisent la source lumineuse oxhydrique (oxygène + hydrogène), oxyéthérique (éther + oxygène), oxycalcique (alcool + oxygène), ou oxyacétylénique (acétylène et oxygène). Parfois, les projectionnistes utilisent également des sacs contenant des gaz à mélanger, dont il faut contrôler en permanence la pression. C’est pourquoi les accidents sont nombreux et fréquents.

Incendie du bazar de la Charité

Et le plus célèbre est celui du Bazar de la Charité dû à l’usage d’une lampe à éther, qui exige la plus grande prudence. Car un réservoir en cuivre est rempli d’éther liquide que l’on mélange avec du gaz oxygène insufflé par pression. Avec un bec sur le dessus du contenant pour laisser échapper un mince filet de mélange gazeux, que l’on enflamme avec une allumette. Ainsi la petite flamme dirigée vers un bâton de chaux porté à incandescence émet une lumière très intense.

C’est Alfred Molteni (1837 – 1907), grand fabricant de lanternes de projection, qui commercialise en 1895 une lampe oxyéthérique nommée Sécuritas. Elle est utilisée par les opérateurs du cinématographe Joly-Normandin, le 4 mai 1897, au Bazar de la Charité. Au cours de la projection, la lampe s’est éteinte brusquement. Et l’opérateur a immédiatement gratté une allumette pour la rallumer alors que les vapeurs d’éther sont propagées dans la cabine. Ce qui provoque une terrible explosion, un incendie survient. Et la mort, pour la plupart, de 143 personnes issues de l’aristocratie parisienne. Coup dur pour l’avenir du cinéma !

Le cinéma chez soi

Puis, au lendemain de la Première guerre mondiale, Charles Pathé disloque son empire face à l’arrivée du cinéma américain. Car il ne croit plus à son activité de production et location de films ni à celle de la fabrication de pellicule vierge.

Ainsi des hommes comme Pathé et Gaumont prennent conscience de la nécessité de conquérir un nouveau public, en pénétrant dans l’intimité de leur domicile. Or, deux domaines restent inexploités : le cinéma d’amateur et le cinéma rural.

Pathé Kok et Pathé Baby

Alors dès 1912, Pathé tente une expérience de cinéma chez soi avec le Pathé Kok. C’est un projecteur à manivelle qui utilise un film de 28 mm, proche du film 35 mm. Mais ininflammable et incombustible il offre une sécurité absolue pour l’usager. Autre particularité : ce projecteur produit lui-même son électricité grâce à une dynamo intégrée et actionnée par l’opérateur quand il tourne la manivelle.

Et il est d’autant plus attrayant parce qu’en 1912 la distribution de l’électricité est loin d’être généralisée. Du coup cet appareil relativement coûteux rencontre un vif succès auprès des amateurs fortunés.

En fait il projette une image de taille modeste, d’à peine 60 x 80 cm. Car il est difficile d’aller au-delà. Compte tenu du médiocre rendement de la lampe à incandescence ; qui nécessite une fréquence de projection élevée pour obtenir une luminosité acceptable. Mais Pathé s’aperçoit vite de ce problème et de cette sous-utilisation de la surface de l’image projetée sur l’écran. Il en tirera les leçons et conçoit le format 9,5 mm.

Alors, fin 1922, pour les fêtes de Noël, Pathé Cinéma commercialise un nouvel appareil de conception différente, le Pathé Baby. C’est un petit projecteur jouet, compact. Il fonctionne avec des films ininflammables placés dans une petite cassette ronde et métallique, facile à exploiter.

Kodascope

Le film en question au format de 9,5 mm de large, à perforation centrale, a une surface d’image proche de celle du format 16 mm qu’Eastman-Kodak lance en 1923 avec un projecteur très simple : le Kodascope.

Puis, en 1924, Pathé Cinéma fait connaître des accessoires pour motoriser le Pathé Baby et aussi une caméra 9,5 mm très compacte utilisant du film inversible. Dont le support à la prise de vues et à la projection est le même, supprimant le tirage additionnel. Cette économie sur la pellicule donne des ailes au cinéma d’amateur à travers le monde. Plus tard, ce format sera actualisé avec l’arrivée du parlant, et accompagné d’un important programme d’édition avec plusieurs centaines de titres après guerre.

Le cinéma partout et pour tous

Peu après la fondation de la Société française du Pathé-Baby, Pathé Cinéma travaille en 1925 sur un nouveau format, le 17,5 mm. « Sa finalité, précise Charles Pathé dans son livre De Pathé Frères à Pathé Cinéma, est l’exploitation dans les campagnes, les petites villes, les groupements religieux et les pays pauvres ».

Ce projet se nomme Pathé Rural, parce que l’idée est de conquérir des terres de campagne encore sans écran. Pathé développe ainsi un réseau de petites exploitations aux charges réduites pour faire pénétrer, entre 1927 et 1940, l’image au fin fond de la France. Mais le 17,5 Pathé Rural n’est pas un format destiné aux amateurs comme le Pathé Baby, car il ne met pas à disposition d’outil de création pour le grand public.

La Motocaméra et le cinéma sonore

La seule caméra 17,5 mm baptisée Motocaméra n’est destinée qu’aux exploitants professionnels. Dès 1927, le Pathé Rural commence à conquérir une place significative sur le marché de l’exploitation.

Puis, avec l’arrivée du cinéma sonore, Pathé lance en 1933 un projecteur sonore appelé le Pathé Natan 175 et une version du Pathé Rural sonore. De suite Pathé construit un projecteur professionnel plus puissant et conçu uniquement pour le sonore, le Super Rural. Mais la guerre et l’interdiction du 17,5 mm par les Allemands sonnent le glas de ce format.

Alors Pathé lance le projecteur Pathé Vox 9,5 sonore à l’occasion de l’Exposition Universelle (1937). Ce format 9,5 mm est doté d’une piste sonore optique. Mais, interrompu par la guerre l’essor du 9,5 sonore ne reprend qu’en 1946 pour une dizaine d’année.

Ensuite, la rude concurrence des formats 8 mm puis Super 8 lancés par Kodak va l’achever. Ces derniers seront eux-mêmes évincés avec l’arrivée des formats vidéo numériques. Mais ceci est une autre histoire !

Gérard Krémer.

Notes

(1) De la Lanterne Magique au Cinéma, article de Gérard Krémer paru dans la Lettre de la CST – Commission Supérieure Technique de l’Image et du Son, n° 167, jan 2018, p. 32. Texte réécrit par Regard’Infos.

Bibliographie sélective utilisée par Gérard Krémer. Il tient à remercie vivement Laurent Mannoni, directeur scientifique de la Cinémathèque Française à Paris, pour tous les renseignements reproduits et fournis à travers ses écrits.

–  C.W. Ceram, Archéologie du Cinéma, Paris 1966.
-  Frédérique Goerig-Hergott, Lanternes magiques, le monde fantastique des images lumineuses, –  Colmar 2009.
-  Jacques Kermabon (dir), PATHE, premier empire du cinéma, Paris 1994.
-  Laurent Mannoni, Le grand art de la lumière et de l’ombre, Paris 1994.
-  Jac Remise, Pascale Remise, Régis van de Walle, Magie lumineuse, du théâtre d’ombres à la lanterne magique, Paris 1979.

(2) Marcel Proust, dans les premières pages de son roman Du Côté de Chez Swann, Paris, 1913.

Qui est-ce Gérard Krémer, l’auteur de ce texte ?

Gérard-Kremer-au-Pérou
G. Krémer avec son matériel au Pérou

Gérard Krémer est un ingénieur en électronique, chasseur de son, formateur. Mais ce Parisien est aussi un collectionneur passionné de tout ce qui concerne l’image et le son. Comme les enregistreurs Revox et Uher, le pré-cinéma, les tours de magie.

Pour la petite histoire. Tout commence à l’âge de 12 ans lors que, pour son Certificat d’études, son père lui offre une caméra Pathé Webo 9,5mm qui utilise une pellicule avec une perforation centrale. Plus tard, quand Gérard rentre à l’école d’Ingénieur, son papa lui paye une Pathé Webo 16mm avec un objectif Angénieux 12/120.

Krémer et Godard

Ensuite, lors de ses études à l’INSA – l’Institut National des Sciences Appliquées de Lyon, Gérard Krémer créé un Ciné-club. Ici il apprend surtout à filmer « propre, dit-il, sans bouger, avec des images stables ». Voilà pourquoi il dit ne pas aimer « la manière de filmer de Godard [mais il] respect le réalisateur ».

Alors le jour qu’il rencontre Jean-Luc Godard (1930 – 2022), Gérard lui parle du film A Bout de souffle (1960). Ce film emblématique de la Nouvelle VagueJean-Paul Belmondo joue (Michel Poiccard/Laszlo Kovacs) avec Jean Serberg (Patricia Franchini). En profitant de l’occasion, Gérard fait cette remarque à Godard : « Quand le son du camion est passé, Belmondo devrait dire à Jean Seberg : « Tu peux redire, je n’ai rien entendu ». Puisque, avec le son sourd du moteur, le public ne peux pas entendre ce que Seberg dit à Belmondo». Godard lui rétorque : « Vous avez raison ! », rapporte Gérard en ITW à Regard’Infos.

Par ailleurs, concernant ce film, Godard confie lors d’une autre rencontre: « Quand j’ai tourné À Bout de Souffle, je pensais que je faisais quelque chose de très précis, que je réalisais un thriller, un film de gangsters. Mais, quand je l’ai vu pour la première fois, j’ai compris que j’avais fait tout autre chose. Je croyais que je filmais le Fils de Scarface ou Le Retour de Scarface. Et j’ai compris que j’avais plutôt tourné Alice au pays des merveilles, plus ou moins » Godard – table ronde Los Angeles 1968.

Krémer et Hergé

En fait Gérard Krémer étant toujours comblé avec sa Pathé Webo, il est aussi imprégné par le Temple du Soleil d’Hergé (1907 – 1983). Alors Gérard décide de partir filmer au Pérou avec sa caméra sur l’épaule. Du coup il se souvient que dans la Bande dessinée « Tintin passe sous un viaduc et se jette dans le Rio » et il veut à tout prix enregistrer ces images. Dès lors il tourne les paysages identiques à ceux de la bande dessinée : la nature, la rivière, les gens, le patrimoine.

Puis, dès son retour en France, Gérard prévint Hergé de la diffusion de son reportage par la Télévision belge. Hergé voit son film et lui écrit de sa belle plume pour le remercier. Et, dans sa lettre, Hergé avoue que Gérard a pu illustrer le Pérou comme il l’imaginait. « J‘apprends, raconte Gérard, que Hergé ne connaissait le Pérou que par des cartes postales et des interviews. C’est fabuleux de penser que le génie d’Hergé a pu l’imaginer tel quel ! »

Krémer et Tintin

Sans compter que Gérard ressemble physiquement aussi au personnage créé par Hergé. Car c’est ainsi que José Arthur (1927 – 2015) le présente dans son émission Le Pop-Club, sur France Inter : « Bon on n’est pas à la télévision. Donc, il faut que je vous le décrive. Gérard Krémer a le visage rond, et une houppette comme Tintin. C’est un baroudeur. Mais à la place du chien il a un magnétophone ».

Enfin, le temps passe avec de nouveaux procédés qui ne cessent de s’innover. Alors, depuis 10 ans, Gérard adopte la vidéo et n’enregistre plus le son avec son magnétophone Uher. Car, aujourd’hui, ce jeune homme de 74 ans travaille en numérique puisque c’est « bien plus léger », dit-il. En revanche, Gérard Krémer avoue que la lourdeur du matériel ancien ne le gênait pas malgré « les 14 kg du Uher avec les caméras ».

 

NOLDS et FLDS.