Portrait d’un artiste avant-gardiste, Pierre Barouh

L’auteur, compositeur, acteur et cinéaste, Pierre Barouh est mort le 28 décembre 2016, à l’âge de 82 ans.

Pierre Barouh, un grand musicien, auteur-compositeur, connu pour les paroles de la chanson « Badabadaba da ba da ba da… », s’est éteint ce mercredi après-midi d’un infarctus, selon l’AFP.

Mais il est surtout le parolier de belles chansons comme « La bicyclette » chantée par Yves Montand. Ou « Des ronds dans l’eau » du disque de Françoise Hardi, ou encore « La plage » immortalisée par la belle Marie Laforet. Ce producteur a découvert également des talents de la musique en France. Parmi eux, Jacques Higelin, Brigitte Fontaine et le percussionniste brésilien Nana Vasconcelos.

Ce personnage attachant, a dédié une de ces chansons, sur une musique de Éric Guilleton, à son amie et voisine Eliane Gaillardon. « Lili » est la marchande de tabac-Journaux, de la rue Blanville, à Paris. Dont voici un extrait :
«  J‘en ai trop dit Lili.
Enfin pour ceux qui font leur lit.
Du cynisme qui nous attend.
Dans le journal que tu me tends.. »

Pierre Barouh à son bureau chez lui, lors d'une ITW en 1997
Pierre Barouh à son bureau chez lui, lors d’une ITW en 1997 – Crédits : NODS.

Pierre et sa famille

En décembre 1997, avec son épouse Atsuko Ushioda, Pierre Barouh m’a reçue pour une ITW dans leur petite maison très accueillante, à la Contrescarpe, à Paris. Dans ce lieu, trouvé 12 ans plutôt par Atsuko, nous y avons parlé de son enfance, de ses voyages. Mais aussi des ses coups de cœur, de ses métiers. Pierre a 4 enfants : Benjamin, Maia, Amie-Sarah, Akira, dont les trois derniers de son union avec Atsuko.

Pierre est né à Levallois-Perret dans une famille de juifs séfarades. « Nous étions 3 enfants. Au moment de la guerre, mes parents en ont adopté 3 autres, puis ils nous ont envoyés en Vendée. » Alors il mène une vie de paysan. Et revient à Paris complètement décalé, par toute forme d’éducation dirigée. Son univers c’est Marcel Cerdan, Tino Rossi… À 14 ans il est bouleversé par Billie Holliday. Aussi par le livre « La Rage de vivre », de Milton-Mezz Mezzrow et Bernard Wolfe : « Un tremblement de terre dans ma vie, dit-il. Et [le film ] Les Visiteurs du soir [de Marcel Carné et Jacques Prévert, 1942] : Démons et merveilles / Vents et marées / Au loin déjà la mer s’est retirée ».

Pierre Barouh et le Brésil

Encore adolescent, Pierre écrit ses premières chansons. Puis il quitte l’école pour faire les marchés avec ses parents. À 17 ans, il fait ses premières promenades avec la guitare sur le dos, des rencontres, des voyages en Danemark, en Norvège et en Israël. Alors il devient journaliste sportif pour Paris-Presse. Pour ensuite être l’assistant de Georges Lautner, qui, en 1961, dès son premier film lui écrit un rôle dans « Arrêtez les tambours ».

Aussi Pierre parle de sa rencontre avec le Brésil, et avec cette musique tropicale qui a marqué sa vie : « Je l’ai découverte au Portugal, à l’époque de la dictature de Salazar. C’est là où j’ai rencontré Sivuca, un accordéoniste brésilien qui m’a ébloui et ouvert sa porte en 1959. Je chantais dans un restaurant italien à Lisbonne, où le roi d’Italie et le directeur de la Compagnie de Navigation Portugaise venaient m’écouter. J’étais complètement fou des musiques d’Antônio Carlos Jobim que Sivuca chantait :
Un samba sans tristesse.
C’est aimer une femme.
Qui n’est que belle
».

Alors il s’embarque pour le Brésil, passe trois jours à Rio : « Je rêvais de rencontrer Tom Jobim et Vinicius de Moraes. Mais je n’ai rencontré personne. J’avais traversé l’Océan et lavé des assiettes pour rien». Rentré à Paris, à Saint-Michel, il joue enfin avec Vinicius de Moraes et Baden Powell ; chez Vera Barreto Leite, qui l’a invité après l’avoir entendu chanter, en français, « Noite do meu bem » de Dolores Duran (1930-1959) rue Saint-Benoît. « La chanson est un moyen d’expression privilégié, explique Pierre. Elle peut véhiculer des choses incroyables, et on ne peut pas l’arrêter. Dans toutes les dictatures ce n’est pas par hasard si les chansons sont réprimées en premier ».

Barouh et Lelouch

En 1965, Barouh joue dans « Une fille et des fusils », de Claude Lelouch. Il raconte : « Lelouch avait décidé que j’étais le Belmondo de ma génération. Sauf que je n’avais pas une vocation d’acteur. En outre j’avais pris trop de recul dans mes années de promenade, et le succès m’a paru un ghetto plus qu’une voie royale. »

Pierre explique croire à ce qu’il appelle l’effet pollen : « On lance les choses dans l’air, et on ne sait pas comment ça va se répandre ».

Alors que ses premières chansons marchent bien en France, Pierre joue avec Grande Otelo au Brésil dans une production franco-brésilienne dirigée par Antoine d’Ormesson. « Arrastão » (Les amants de la mer) est un film de Vinicius de Moraes, inspirée de « Tristan et Yseult ». Ce film a été tourné à Itaipú, un petit village de pêcheur dans l’état de Rio. Ainsi les dimanches Pierre met sa voiture dans la grande barque et fait la traversée entre les états de Rio et de Guanabara, pour aller au stade de Maracanã. Puis, le soir, il retrouve la fine fleur de la musique brésilienne. Dont Baden Powell, dans un petit bar au Leblon, où ils passent la nuit à picoler, à bavarder et à jouer.

Pierre Barouh et Badabadaba à Cannes

Mais, peu de temps après, Claude Lelouch l’appelle pour le tournage de « Un Homme et une Femme » qui commence trois jours plus tard. Alors ce soir-là, lors de son départ, bien arrosé à la caipirinha, avec ses amis brésiliens (*), Barouh écrit l’adaptation du « Samba da benção saravah ». Et, jusqu’à l’aube, les chansons se suivent… Arrivé à Paris, Pierre fait écouter son samba à Lelouch. De suite, le réalisateur change le scénario de son film et en fait le thème principal. Du coup Pierre présente Francis Lai à Lelouch, en lui disant que c’est Francis qui composera sa musique

Ainsi en 1965, Pierre Barouh crée sa maison d’édition Saravah, « pour permettre à Claude Lelouch d’achever  » Un homme et une femme ». Puisqu’à l’époque, personne ne veut éditer Badabadaba et les chansons de ce film ».

De ce fait « Un Homme et une femme » est un film réalisé pratiquement sans budget. Mais il est interrompu en cours de tournage, et finalement a été sauvé par un distributeur québécois nommé Giroud. Résultat : « Six mois plus tard, en 1966, au Festival de Cannes, raconte Pierre, je me retrouve Éditeur. Alors ceux que j’avais contactés arrivent avec leur carnet de chèques, et je leur réponds que c’est trop tard ! ». Le film reçoit la Palme d’Or à Cannes.

Avec le succès de ce film et celui de ses chansons, Pierre Barouh a investi pour faire connaître des poètes et des musiciens de tous les horizons. Aujourd’hui son label Saravah est le plus ancien label français en activité.

Succès au Japon et au Cambodge

Néanmoins, parfois, en France, le travail de Pierre Barouh est considéré comme utopiste ou marginal. Alors qu’il est reconnu et apprécié dans d’autres pays comme le Japon. Où Pierre a une carrière bien remplie et où il a enregistré des disques avec des musiciens nippons.

Pierre Barouh avoue : « J’étais surpris vu que je vends peu de disques en France. Alors que j’ai été accueilli là bas par des stars, comme Ryuichi Sakamoto [pianiste et compositeur, ndlr], et d’autres, qui sont de grandes vedettes dans leur pays. Ainsi ils m’ont appris qu’ils se nourrissaient de mon travail. Je n’ai jamais été entouré d’autant d’amour, et depuis j’y retourne tout le temps au Japon ».

Pierre est invité également au Cambodge où son répertoire est traduit en langue khmer. Là bas il a chanté dans un village, où des familles et des écoliers l’attendaient impatiemment. À leur demande, il a chanté « Lili » trois fois de suite « ils l’aimaient parce qu’ils se reconnaissaient en elle ».

Enfin Pierre Barouh déclare : « J’ai toujours trop aimé la chanson pour devenir chanteur. J’aime chanter n’importe où, n’importe quand, pour n’importe qui ».

Voilà pourquoi le sympathique et souriant Pierre Barouh reste parmi nous à travers ses chansons et ses films.

Neide Olívia De Souza.

Note :

(*) Le titre original du « Samba Saravah » est « Samba da Benção » dont les paroles sont du poète et diplomate Vinicius de Moraes et la musique du compositeur Baden Powel. Cette chanson brésilienne a eu sa version française enregistrée en 1965 à Rio de Janeiro, sur un Revox, chez Baden après une nuit blanche. Et « la première prise a été la bonne » raconte Pierre. Il ajoute que l’inspiration est venue dans un moment privilégié avec Baden dans le « Bar Veloso » (actuel Garota de Ipanema, au coin des rues Montenegro et Prudente de Moraes). Un bar fétiche où Vinicius a créé avec Antônio Carlos Jobim la fameuse chanson « La Fille de Ipanema ».