Bertrand Tavernier – Master Class à Louis Lumière
Le réalisateur Bertrand Tavernier en Master Class à l’école nationale supérieure Louis-Lumière, le 28 mars 2018.
Le grand Bertrand Tavernier rencontre les étudiants de Louis Lumière à la Cité du cinéma, à Saint-Denis. Ce cinéaste éclairé se présente en compagnie de Michel Ciment, critique cinématographique, animateur de l’émission Le Masque et la Plume sur France Inter.
Alors avec son franc parler, Tavernier évoque, durant trois heures, son amour du cinéma, ses films, sa façon de tourner, ses collaborateurs. Dont trois extraits de ce moment passionnant ont été choisis pour vous par Regard’Infos.
Des films mythiques le poussent à devenir réalisateur
Lien video : B. T. – Master class extrait 1
Bertrand Tavernier raconte : « Vraiment je pense que deux des films qui ont été majeurs dans mon envie de faire du cinéma c’est deux films que j’ai vus à très peu de temps de distance. C’étaient Le Massacre de fort apache (1948) et La Charge héroïque (1949) de John Ford. Dans ce qui me touchait, c’était déjà, et pourtant je ne sais pas j’avais 13 ans, c’étaient ces scènes de bal, d’anniversaires, de célébrations de rituels de la communauté ».
Sur l’importance de la complicité d’une bonne équipe de tournage
Ici cet ex-attaché de presse, notamment pour Stanley Kubrick entre autres sur 2001 : l’Odyssée de l’espace (1968), souligne l’atout de travailler avec une équipe motivée et complice. Dans ce sens Bertrand Tavernier parle du tournage de Capitaine Conan, 1996. Ce film se passe dans les Balkans. Il raconte qu’en septembre 1918, les hommes du capitaine Conan sèment de désordre, pillent et tuent à Bucarest, malgré que l’armistice soit déjà signé en France.
Lien video : B. T. – Master class extrait 2
« Il ne peut pas y avoir de plus grand compliment pour un metteur-en-scène que de sentir que tout le monde comprend ce que vous faites. Ce qui a été le cas dans tout le Conan. J’avais essayé de retrouver ce qui se passait dans la tête des gens quand ils participaient à cette bataille et l’on a tourné. Et en fait on a fait trois prises seulement de ça. Et dans la troisième il s’est passé un accident. Le type qui devait s’arrêter, au lieu de marcher, il s’est mis à courir en entraînant ses hommes. Les hommes ont suivi, [le chef opérateur Alain] Choquart a suivi.
J’ai vu que mon assistante Valérie Othnin-Girard a fait un signe qui a lancé les cavaliers et les soldats sur la droite de l’écran. Et, à ce moment là, vous avez une sorte d’euphorie. Parce que vous avez l’impression que tous les gens autour de vous font le même film que vous. »
Pourquoi Bertrand Tavernier change-t-il souvent de genre ?
Lien video : B. T. – Master class extrait 3
« Très très souvent une des premières choses que l’on me demande c’est : Pourquoi vous changez continuellement de genre ? D’abord parce que j’ai envie de m’épater moi-même.
J’ai envie à chaque film de me donner des nouveaux défis. De ne pas tomber dans la routine. Donc si je fais un film dans un genre précis, le second il faut qu’il me soit très différent.
Ça m’oblige à chercher à travailler. Et aussi je pourrais répondre un peu comme [le réalisateur britannique] Michael Powell qui disait : « Tous les films que j’ai fait je les ai fait pour apprendre ».
Des films variés sur des époques différentes
Je passe, à quelques mois de distances, de l’univers des anciens d’Algérie dans La Guerre sans Nom (1992) au policier de L627 (1992). Et, avant, je sortais de La Vie et rien d’autre. Donc de la Guerre de 14 à la guerre d’Algérie, en passant par les flics dans un film complètement contemporain sur un groupe stups. Et de passer de Dans la brume électrique (2008) sur la Louisiane du Sud à La Princesse de Montpensier (2010) et ensuite à Quay d’Orsay (2013). Ça demande quand même une sorte d’agilité mentale, et de capacité à absorber des mondes différents ».
Fière de lui, il note : « En ayant toujours des commentaires prodigieusement élogieux de la part des gens qui sont concernés, et qui connaissent ces mondes. Quand même de recevoir de Tommy Lee Jones juste un mot disant : « Votre film a su capturer l’essence de la Louisiane du Sud ». Et je sais que pour Tommy Lee Jones il ne peut pas y avoir de plus grand compliment, puisqu’il pense qu’aucun cinéaste américain n’arrive jamais à comprendre le Sud.
Un réalisateur qui sait de quoi il parle
Après je fais le XVIème siècle avec La Princesse [de Montpensier], et j’ai de Pierre Nora, Élie Barnavi, énormément d’historiens qui viennent dire la justesse du film, et après je passe à Quai d’Orsay. Où j’entends Hubert Védrine(1) qui dit : « On n’a jamais su décrire le Quai d’Orsay avec une telle, une si grande justesse ». C’est trois mondes que je ne connaissais absolument pas. Je ne connaissais rien de ces univers, rien, rien, rien, rien.
Après, je vais me plonger dans le XVIème siècle à essayer de comprendre comment les gens se battaient. Et ça m’amène à poser des questions à Didier Le Fur(2), puisque c’est un film où j’ai eu un conseiller historique. C’est le seul.
Mais comment les gens se reconnaissaient dans une bataille ? Et il me dit : « Ils ne se reconnaissaient pas ! » Puisqu’il n’y avait pas d’uniforme, qu’en plus c’étaient des mercenaires qui appartenaient généralement au même pays. Mais qui étaient dans des camps différents. Donc ce n’était même pas la langue qui pouvait les différencier. Donc il dit : « On évalue maintenant que pratiquement un tiers des morts devait être des gens du même camp, qui s’entretuaient dans les batailles ». Bon, ça change complètement même la façon de se conduire des figurants. Il ne peut pas y avoir de tactique. Les gens tapent n’importe où. Ils voient un type devant et, de peur que ce soit un ennemi, il vaut mieux qu’ils le déquillent. On ne peut pas savoir. Ils sont habillés pareils. Ça c’est hyper intéressant. »
Films à voir
Enfin ce cinéaste lyonnais éclectique recommande aux cinéphiles de ne pas manquer de voir Les amoureux sont seuls au monde, d‘Henri Decoin (1948), avec le merveilleux acteur Louis Jouvet. Et Regard’Infos pense aussi au dernier film de Bertrand Tavernier Voyage à travers le cinéma français (2016), qui aura une nouvelle version télé, de 8 heures, qui sera diffusée bientôt sur France 5.
NOLDS.
Notes :
(1) Hubert Védrine, ministre des Affaires étrangères du gouvernement Jospin (1997 – 2002).
(2) Didier Le Fur, docteur en histoire.