« We blew it » de Jean-Baptiste Thoret au cinéma

We blew it est le premier film réalisé par Jean-Baptiste Thoret pour le cinéma. C’est un documentaire passionnant sur les États-Unis, des années 60 à aujourd’hui. En somme c’est un récit autant politique que poétique d’une Amérique du Nord, jadis génératrice d’espoir et de fascination.

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We blew it. Point Limite ©LostFilms

En effet We blew it est un road-movie qui parcourt les États-Unis, de Los Angeles à New York, traversant de petites villes et plus de 30 états. Aussi un de petites villes et plus de 30 états Aussi un documentaire sur la complexité de la vie américaine. Et ce depuis le film culte Easy Rider(1), de Dennis Hopper (1969) jusqu’à Donald Trump en 2016.

D’abord dès le générique de début y passe un excellent choix d’images fortes. Des archives d’actualités de ces années là, suivies par des superbes images. Allant de couchers de soleil bien rouge aux beaux paysages américains. En passant par la campagne électorale de Hillary Clinton et Donald Trump.

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We blew it. Brad Moresi avec le masque de Trump ©LostFilms

L’Amérique du Nord des 50 dernières années

Ainsi dans We blew it avec son regard magique l’ex-monsieur cinéma de Charlie Hebdo promène le spectateur sur de belles routes. Il projette un angle de cette Amérique qui séduit toujours, par la beauté de ses paysages, ses routes mythiques, ses Indiens, son cinéma, et ses contradictions. Des convictions innocentes, enthousiastes, libres, mettent en exergue la réplique de Peter Fonda à Dennis Hopper dans Easy Rider : « You know Billy, we blew it ». En français « Tu sais Billy, on a tout foutu en l’air ».

Pourtant, sans jamais critiquer, We blew it présente l’Amérique avec ses changements de ces derniers 47 ans. J-B Thoret balaye par des témoignages divers les festives années 60 et 70 où « sexe, drugs, et rock’n roll » se pratiquaient avec une certaine liberté, vu de nos jours.

Archives et témoignages éloquents

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L’acteur Fred Williamson se promenant ©LostFilms

En clair ce film est truffé d’images d’extraits de films. Entre autres Mash de Robert Altman (1970), Le Parrain de Francis Ford Coppola (1972), Vol au-dessus d’un nid de coucou de Milos Forman (1976).

Mais aussi de sonores. Comme celui entre Robert Redford et Julie Christie dans Sous surveillance(2) où il lui dit : – « Mimi, stop ! » – « Les Illusions ne sont pas finies», répond-elle. – « Nous aurions pu changer les choses », rétorque-t-il.

D’autres évoquent Sydney Poitier, Clint Eastwood, Charles Bronson. Alors que des lieux emblématiques de tournages de films s’y déclinent.

Pléthore d’intellectuels invités

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Le réalisateur Paul Schrader ©LostFilms

C’est un documentaire parsemé d’interviews intéressantes. Non seulement d’intellectuels, d’historiens, ou de cinéastes comme par exemple Michael Mann, Bob Raffelson, Paul Schrader. Mais aussi d’américains lambda. De ceux qui ont vécu cette ère

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Michael Mann, réalisateur

américaine, faste et révolutionnaire de l’âge d’or, à qui Jean-Baptiste Thoret demande, aujourd’hui, ce qu’ils en pensent avec du recul. Est-ce qu’ils ont vraiment tout foutu en l’air ? Ou pas ?

Cependant dans We blew it il y a également des images de route vide, toute neuve, sans aucun véhicule, marquée d’une bande centrale, jaune, impeccablement superposée sur les images du paysage, sous une lumière de rêve.

Une époque pas que de love

De manière efficace l’ancien professeur universitaire de cinéma montre une réalité pour mieux la démontrer. Ainsi quelques événements ont assombri l’Amérique et les mouvements de liberté. Par exemple, l’assassinat de John Fitzgerald Kennedy (22/11/63) qui fait que les gens « commencent à s’interroger sur ce que se passe » signale une historienne. Suivi de Martin Luther King (4/4/68), et Bob Kennedy (5/6/68). Puis le meurtre de l’actrice Sharon Tate (9/8/69) l’épouse enceinte de Roman Polanski (9/8/69). Et les incidents du concert gratuit des Rolling Stones à Altamont (San Francisco, 6/12/69), avec 4 morts. Néanmoins à côté de ces horribles massacres, il y avait une ébullition artistique sans précédent.

Création du mouvement de Libération de la Femme : Women’s Lib

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Mythique Route 66

Et aussi des mouvements de libération. Comme celui des Femmes Women’s Lib (1960). Ou celui de libération afro-américaine Black Panthers (15/10/66) personnifié par Angela Davis. Sans parler du grandiose Festival de culture hippie de Woodstock, du 15 au 17 août 1969, dans une ferme du village de Bethel, dans l’état de New York. Car prévu pour recevoir 50 mille personnes, il en a accueilli environ un demi million de spectateurs. Pourtant Internet et Facebook n’existaient pas encore.

Toutefois c’est là que l’innocence commence à disparaît. Alors que l’on se dénudait facilement, et que l’on voulait sauver le monde. C’était un vrai moment de liberté, apparemment profonde, où régnait la sécurité sans peurs. Or tout n’était qu’amour et paix, aidé par les opiacés, le cannabis, le peyotl. Un moment où, selon une intervenante, « la drogue a changé la musique. Et le FBI fournissait du LSD, pour mieux contrôler la population ».

Des Marines victimes du pouvoir

Il y a aussi des retrouvailles avec des Marines. Parmi ces vétérans J. Gomez, qui parle de l’utilisation de l‘agent orange, le même de Montsanto, qui a fait des dégâts humains impardonnables dans la guerre du Vietnam (1962-1973). En larmes, Gomez, dit aussi qu’il a « pété les plombs après le VietNam ». Car il est « parti en héros pour défendre la patrie » et quand il revient on le traite de « tueur de bébé ».

Un Barbier amoureux défend la Route 66 au Sénat

En somme We blew it est riche en entretiens. Par exemple, à Seligman (Arizona) le réalisateur est face à Angel Delagdillo, 89 ans. Ce vieux barbier vit tout près de la

Route-66
Route 66

mythique Route 66. Il est amoureux de sa route, tracée en 1933. Tout en massant le visage d’un client, Angel se souvient, qu’en 1978, il a vu sa bourgade se déserter avec la construction de l’autoroute Intersate 40. Dès lors, Angel s’est senti abandonné par le gouvernement américain et décide de prendre le taureau par les cornes. Ainsi en1980, avec son frère et quelques habitants, il réagit et part au Sénat plaider la cause de sa route.

Et Angel a bien fait entendre sa voix. Résultat : désormais la Route 66 est classée site historique. Alors la vie est revenue à Seligman, qui est redevenue une des étapes touristiques de la route de l’Arizona. Fière de lui, Angel affirme « Nous, le peuple, nous avons gagné envers et contre tous ». Honorant ainsi les sages paroles du président Abraham Lincoln, qui a annoncé, à Gettysburg (1863) : « La Démocratie est le gouvernement du peuple. Par le peuple. Pour le peuple ».

Paysages et personnes différents

Jean-Baptiste Thoret explique : « J’ai passé l’essentiel de l’année 2016 à parcourir ce pays de long en large, entre New York et Los Angeles. Deux villes totems et faux semblants magnifiques de l’Amérique d’aujourd’hui. Le mirage de la côte Ouest versus le fantôme cultivé de la Vieille Europe. Là, Trump est un repoussoir, un objet de moquerie, un guignol pathétique, un pré-fasciste, un suprémaciste dangereux, un businessman vulgaire, pour lequel votent les sans-dents, les blancs aigris, les Texans, les illettrés et même les membres du ku klux klan. »

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Summer Hammoch – We blew it ©LostFilms

Summer fan de Trump

Puis à Kingston, une petite bourgade du Tennessee et un head-quarter de Trump, Thoret rencontre Summer Hammoch, une trentenaire, qui tient une petite permanence électorale. Cette mère de famille croit en Donald Trump comme au Messie. « Dans les années 60, lui dit-t-elle, elle n’aurait pas hésité une seule seconde à voter pour Kennedy et les démocrates. Car, eux seuls, s’opposaient à la guerre du Vietnam comme à toute forme d’ingérence américaine à l’étranger. Tandis que les républicains, eux, l’encourageaient. Aujourd’hui, précise Summer, c’est le contraire, ce sont les démocrates, les Clinton et Obama, qui sont devenus conservateurs. Ce sont eux qui militent pour la guerre ». Voilà pourquoi elle soutient Trump, en croyant que « lui seul s’oppose à la guerre ».

« Moins de temps dévoué aux conflits étrangers. Plus de temps consacré au peuple américain. Voilà le protectionnisme que désire Summer », résume J-B Thoret.

Des dollars toujours verts en Amérique

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L’acteur Fred Wiliamson dans sa voiture ©LostFilms

En revanche l’acteur Fred Williamson pense que « Trump n’est qu’un abruti et que les dollars sont toujours verts aux États-Unis ».

Une contre-culture assez spéciale

À Dunsmuir, dans le nord de la Californie, le cinéaste a rendez-vous avec Brad Moresi, la soixantaine. Brad tient une boutique d’articles pour chiens, près d’une voie ferrée. De plus Brad est responsable d’une radio locale qui émet d’un hôtel. Où il diffuse, en boucle, des tubes comme ceux de Creedence ou des Rolling Stones. Sérieux, il affirme qu’il fut et qu’il veut rester « un enfant de la contre-culture » flanqué d’un credo qu’il a lui-même réarrangé pour rock’n roll, sex and drugs.

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Brad Moresi devant sa boutique ©LostFilms

Thoret rajoute « Mais, là encore un détail vient parasiter le tableau, un bug dans le logiciel des sixties : Brad se prépare à voter Trump, en qui il voit une authentique figure de la contestation. Un bon démocrate s’oppose au système m’explique-t-il en substance, aujourd’hui, il en est l’incarnation. Après tout, Dennis Hopper fut démocrate dans les années 70, républicain en 2000 et pro-Obama en 2008 ».

Il constate que « comme Summer, Brad ne cache le respect qu’il avait pour Bernie Sanders(3) et avoue qu’il aurait même pu voter pour lui ».

Drapeau américain partout

Drapeau des États-Unis d'Amérique
Drapeau des États-Unis d’Amérique

Aux États-Unis le drapeau américain est partout. Ainsi dans We blew it il prend le rôle d’un fil conducteur sur les routes, sous une lumière naturelle sublime, ponctuée par de très belles images de la beauté du parcours.

C’est pourquoi le réalisateur Jean-Baptiste Thoret explique le 18 novembre 2016 à Libération : « Dans des milliers de miles, des centaines de petites villes et une trentaine d’États traversés, j’ai vu partout des drapeaux américains, des autocollants pro-Trump posés sur des drapeaux posés sur les voitures et les devantures des maisons, des fanions Make America Great Again plantés dans les jardins. J’ai vu aussi des pancartes pro-Sanders crânement maintenues sur des porches.

Hillary Clinton

Mais aucun signe extérieur, ou presque, d’adhésion à Hillary Clinton… Alors ce n’est qu’aux deux extrémités du territoire, côtés Atlantique et Pacifique, New York et Los Angeles, que je retrouvais, un peu, les partisans de Hillary… Comme si, au sortir d’un cauchemar éveillé, qui avait pris la forme d’un long périple, je retrouvais enfin cette Amérique rassurante, naturellement anti-Trump, plutôt cultivée et civilisée décrite à longueur de colonnes et d’antennes.

De toute façon Hillary Clinton allait l’emporter. Ce que me confirmaient ici avec certitude Michael Lang, le co-fondateur de Woodstock et Bob Mankoff, le chief cartooniste du New Yorker. Le réel m’avait abusé, il n’avait été qu’un mirage ou un effet parallaxe. Pas de forêt derrière l’arbre. Nous étions à la mi-octobre. »

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We blew it. Un couple dans la rue, la femme danse ©LostFilms

Une musique de choix et un très bon son

Bref We blew it est d’une délicatesse d’enchevêtrement de sons remarquable, quelquefois presque des silences bercés par le son ambiance et une excellente musique. Notamment celle de : Bob Dylan, Jefferson Airplane, Bruce Springsteen, Creedence Clearwater Revival, Jimi Hendrix, en passant par Neil Young, Allman Brothers Band, et d’autres merveilles.

Jean-Baptiste Thoret

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J-B Thoret à droite et F Williamson en voiture ©LostFilms

Avant ce film Jean-Baptiste Thoret a fait Soupirs dans un corridor lointain (2002), sur le réalisateur et scénariste italien Dario Argento, et En Ligne de mire (2016) sur la guerre au cinéma. Actuellement ce critique de cinéma et historien vient de finir le documentaire 86 Printemps, sur Jean-Luc Godard.

Avec We blew it Thoret apporte au cinéma un documentaire de qualité, où l’audio et le visuel font une très belle rencontre.

C’est sans doute un film original et une enquête passionnante avec un rythme différent. Au-delà d’être un bel hommage au cinéma et à la musique de ces dernières décennies, qui ont traversé les deux derniers siècles.

Sortie nationale le 8 novembre 2017.

NOLDS.

Notes :

1) Easy Rider

Easy Rider a été écrit par Peter Fonda, Dennis Hopper et Terry Southern. Avec lui, Dennis Hopper a reçu le Prix de la Meilleure Première Oeuvre au Festival de Cannes 1969. Easy Rider raconte le voyage des deux motards sur les routes américaines. Où le personnage de Billy est joué par Dennis Hopper, acteur et réalisateur du film, et celui de Wyatt par Peter Fonda, acteur et producteur du film. Quant à l’acteur Jack Nicholson il interprète George Hanson. Ces hommes quittent Los Angeles après avoir vendu une grosse quantité de drogue, et se dirigent vers la Nouvelle Orléans pour participer au Carnaval. Durant cette traversée des terres américaines, ils découvrent la vie des Hippies.

Pour la petite histoire, il est intéressant de signaler que pour écrire Easy Rider, Peter Fonda et Dennis Hopper se sont inspirés du film italien Le Fanfaron (1962) de Dino Risi. Ainsi les scénaristes ont customisé quatre motos en chopper, des Harley Davidson dépourvues de certains accessoires afin de les alléger et gagner en vitesse. Cependant durant le tournage du film l’une de ces motos a brûlée. Dennis Hopper raconte lors d’une ITW (2008) : « La prophétie d’Easy Rider était d’avoir mis tout notre argent dans le réservoir d’essence marqué du drapeau américain. Nous ne pensions pas, alors, qu’il y aurait des problèmes avec le réservoir. Mais il a fini par exploser au bord de la route ». Autre chose, les trois autres motos ont été volées avant même la fin du tournage.

Et durant la scène, lors de la veillée nocturne, autour du feu, Peter Fonda, Dennis Hopper et Jack Nicholson fument de la marijuana pour de vrai. Source https://fr.wikipedia.org/wiki/Easy Rider

2) Sous surveillance

Sous surveillance, 2012, de Robert Redford, est un film très intéressant sur un groupe américain de la gauche radicale. Il s’agit de The Weather Underground, un groupuscule gauchiste de la fin des années soixante, composé de jeunes utopistes opposés à la Guerre du Vietnam. Où il y avait deux courants, un favorable à la pure action militante et l’autre orienté vers l’action violente. Alors Robert Redford joue les rôles de Jim Grant/Nick Sloan et Julie Christie celu de Mimi Lurie. Ce film de Robert Redford interroge le présent de ces activistes, et comment ont-ils pu se fondre dans la société. En revanche, aujourd’hui la société américaine les considère comme des terroristes.

(3) Sanders

Bernie Sanders est un sénateur et écrivain très populaire aux États-Unis. Mais aussi le premier sénateur américain à se présenter comme démocrate socialiste. Candidat aux primaires du Parti démocrate pour l’élection présidentielle de 2016, il perd avec 43% des voix face à Hillary Clinton.