« RBG », la juge Ruth Bader Ginsburg au cinéma
RBG est un puissant et touchant biopic sur la juge Ruth Bader Ginsburg. Une femme extraordinaire et fine stratège. Ruth est à l’origine de décisions juridiques fondamentales pour l’égalité homme-femme. RBG est la deuxième femme(1) à siéger à la Cour suprême de justice des États-Unis.
Ce film biographique sur cette avocate édifiante d’humanisme est signé par Betsy West et Julie Cohen. Les deux cinéastes montrent que « rencontrer RBG est une expérience intense. Sa voix est douce. Son vocabulaire est si limpide et choisi avec soin qu’on reste fasciné. »
L’octogénaire aux grosses lunettes, yeux espiègles, cheveux attachés, sourire plein de jeunesse se cache devant une apparence austère. En réalité c’est une femme moderne chargée d’énergie positive, qui ignore la langue de bois. Et est toujours prête à bondir, telle une féline, pour défendre le juste. Ainsi, avec virtuosité, elle plaide pour le droit du travail sans distinction de sexe pour faire changer des lois machistes.
Ruth Bader Ginsburg est de toutes les luttes pour faire évoluer la société en faveur des citoyens. Dans un souci de Justice, elle bataille pour protéger leurs droits contre toute distinction de genre. Puisque cela elle le connait bien. « Je suis sensible à la discrimination sur quelque base que ce soit, témoigne-t-elle. Car j’ai fait l’expérience de cette contrariété. » En effet Ruth n’a pas oublié qu’après être sortie major de sa promotion de la faculté de droit, elle s’est trouvé sans emploi puisque le métier d’avocat n’était réservé qu’aux hommes. Il faut remarquer que dans cette promotion de plus de 500 hommes il n’y avait que 9 femmes. Ruth se souvient que le doyen de l’École de Droit leur a demandé « Comment justifiez-vous de prendre la place d’un homme compétent ? ». Aussi l’accès à la Bibliothèque de Harvard leur était interdit.
Des témoignages frappants
Alors au fil du film des intervenants s’alignent, intercalés par des images d’archives. De la famille aux amis, en passant par collègues et victimes auxquels Ruth a apporté son soutien(2). Deux de ses amies témoignent : « Ruth était très belle, cheveux bruns, yeux bleus, et elle évitait les banalités comme les discussions de filles ».
Dès sa première plaidoirie devant la Cour suprême de Justice – SCOTUS, 1973, Ruth s’occupe de l’affaire Sharron Frontiero contre USA Air force. Dans sa plainte Sharron réclame un salaire adapté à son travail et des allocations logement, comme ses collègues pilotes mariés. Mais elle entend « Vous avez déjà la chance d’être là ». En fait « Pour l’Armée, rapporte son avocat, il n’avait qu’un seul son de cloche : la loi. Et la loi dans l’Armée disait qu’une femme ne doit pas se plaindre ». De plus jugées inférieures, les femmes devraient « être belles, subordonnées, dépendantes, et considérées trop faibles pour voter ». »
Alors RBG prépare ses conclusions avec l’avocat de Sharron. Ruth écrit des mots bien précis dans le but de casser une loi fédérale discriminatoire. Malgré une ambiance extrêmement masculine, Ruth sort victorieuse. « J’ai eu un public captif, un public de juges hommes, dit-elle. Mon travail était de dire que la discrimination existe au travail, que les femmes doivent se battre pour avoir accès à des postes mieux rémunérés pour le bien du foyer. » Elle stigmatise ainsi les violations des droits. Dans son discours elle dit des choses jamais entendues afin de changer les mentalités. Alors cette femme brillante inculque des vérités aux juges, de manière simple, intense et humaine, ainsi résumé : « Quel monde voulez-vous pour vos filles et vos petites- filles ? ».
Pas de distinction de genre
Un autre exemple frappant prouve que les hommes également subissent des discriminations. C’est le cas de Stephen Wiesenfeld. Car après le décès de son épouse, d’une embolie pulmonaire en accouchant, il veut s’occuper de son petit garçon. Il demande donc à recevoir les allocations destinées aux veuves. Celles-ci lui sont refusées. Motif : « Un homme n’a pas droit ». Alors Stephen fait appel à la célèbre guerrière. Résultat : ils ont gain de cause.
Une famille d’amour
Concernant son histoire familiale, Ruth Bader est née, en 1933, à Brooklyn, New York où elle a grandi. Son père Nathan Bader est d’Odessa. La famille est non croyante. Sa mère Célia est « très stricte » et la « force à jouer du piano ». Mais elle l’éduque surtout à être une femme libre. Or de sa maman Ruth retiendra ses phrases : « Sois une dame et sois indépendante. Sois capable de te débrouiller toute seule, même avec un prince charmant à tes côtés ».
Malheureusement Ruth perd très tôt sa maman d’un cancer. Mais ensuite, à l’âge de 17 ans, à la O’Cornell University, elle rencontre son grand amour : Martin D. Ginsburg, 18 ans. Il est son âme sœur. En 1954 ils se marient puis ont deux enfants, Jane et James. Ruth est une jeune maman comblée d’une fillette de 14 mois quand elle arrive à Harvard (1956).
Un couple en synergie
Ruth et Marty forment un couple fusionnel. Elle est sérieuse, petite, réservée, à l’air fragile et timide. Il est grand, a le sens de l’humour, est extraverti, sociable, aime être avec elle. Ruth sait que son mari la soutiendra toujours dans son parcours de combattante. Marty est aussi féministe et il sait que sa femme a beaucoup à dire. Ce magistrat intelligent a vite compris l’importance de son rôle. Il est convaincu que son épouse peut faire avancer la loi, afin que chacun ait une place d’égalité dans la société.
Lorsque Marty a un cancer quand il est en 3ème année de droit, Ruth s’occupe de tout. Elle tape les notes de ses camarades pour qu’il puisse suivre ses cours. Du coup, en les copiant, elle apprend la fiscalité. En revanche ne s’accorde que 2 heures de sommeil par jour. Jouer avec leur fille après l’université « c’était un vrai bonheur et un moment de repos ». « Ça l’aidait à tenir » rétorque Jane Ginsburg. Marty se remettra suite aux chimiothérapies toutefois décèdera en 2010.
RBG n’abandonne jamais
Entretemps Ruth passe elle même par deux cancers. Celui du côlon en 1999, puis du pancréas en 2009. Depuis elle avoue « avoir une plus grande appréciation de la vie ». Cette année là cette femme lucide donne son point de vue sur l’avortement(3) au New York Times. Pour la magistrate « Le gouvernement n’a pas à faire ce choix pour une femme ».
Malgré la lourde maladie qu’elle a su chasser sans s’arrêter de travailler, l’octogénaire, qui tient à garder sa forme, pour continuer le métier qu’elle adore fait de la gymnastique avec un coach. Son entraîneur personnel, Bryant Johnson, rapporte que cette « femme cyborg fait des pompes trois fois par semaine ».
Octogénaire égérie de la pop culture
C’est clair la juge Ginsburg est en vogue. La réputation de Ruth s’envole grâce à son engagement pour la défense de l’égalité des droits. Du coup, elle fait de l’ombre à Trump dont les décisions scandaleuses se succèdent. RBG est connue en outre par ses virulentes critiques. En 2016, elle traite Donald Trump d’« imposteur ». Elle s’est excusée plus tard en se rappelant des phrases de sa maman : « La colère n’est pas performante, c’est une perte de temps ». De plus elle sait qu’elle représente un rempart à ce président farfelu, et qui si elle part c’est un conservateur qui la remplacera. Et alors même que le film RBG sort en salles, le président provocateur vient d’imposer à la Cour suprême l’investiture du puissant Brett M. Kavanaugh, accusé de viols et d’abus en tous genres.
Une femme influente et admirée
Devenue une icône féministe aux États-Unis, RBG est un exemple de charisme, d’honnêteté et de responsabilité. Cette petite femme réussit à imposer, par la force de son caractère, des changements juridiques qui ont révolutionné des lois. Résultat : le magazine Forbes la place 7è, en 2004, parmi les « 100 femmes les plus influentes dans le monde ».
En fait les jeunes et les moins jeunes l’adorent. Voilà pourquoi elle reçoit le surnom de Notorious RBG. Du coup on voit son visage partout. Elle apparaît en wonder woman, décore des T-shirts, des moogs. Certains se font même tatouer avec son effigie. Ruth est respectée et médiatisée. Elle est invitée de 60′ sur CNN, participe à des talk shows télévisés. Elle inspire des humoristes, et devient un personnage diffusé dans Saturday night live qui lui fait, par ailleurs, beaucoup rire. En revanche pour ses enfants ça ne lui ressemble pas. Selon Jane et James, contrairement à l’imitatrice, leur mère « n’est pas drôle ».
Par ailleurs Ruth est une fan inconditionnelle de l’Opéra, qui la « remplit d’émotions grandioses. Je suis transportée, submergée par la musique, par le son de la voix humaine qui traverse électriquement tout mon corps, avoue-t-elle. C’est un lieu de tranquillité, très disciplinée. ,Je n’avais pas de talent pour l’Opéra. Conclusion, je suis juge. J’aime le droit et c’est où je peux agir pour le bien ». Néanmoins, en 2016, elle incarne le rôle de la duchesse Krakenthorp dans la Fille du régiment, du compositeur italien Gaetano Donizetti, jouée par l’Opéra Nationale de Washington. Et le chorégraphe Robert Longbottom souligne que Ruth « interprète avec grâce et dignité ».
Un documentaire majeur
Ce documentaire trace le portrait d’une magistrate rare, intègre, passionnée, qui n’abandonne jamais. Mais aussi de quelqu’un qui a su rester jeune, et sait profiter des instants précieux de la vie, tout en donnant à la société ce qu’elle sait faire de son mieux.
Mais au-delà du parcours de Ruth, le documentaire parle aussi d’une très belle et rare histoire d’amour. Avec un avocat fiscaliste qui n’a jamais hésité a pousser son épouse vers la lumière, tout en la soulageant des corvées domestiques. L’histoire d’un couple lié en symbiose par la complicité d’un amour solide de la famille et d’un métier.
Mais, comme note RBG tout n’est pas encore gagné. Puisque la lutte contre la discrimination est « comme tricoter un pull, on avance point par point ».
Enfin l’infatigable et courageuse femme confesse que ce qui l’inquiète ce n’est pas de mourir, mais de ne plus pouvoir défendre ses concitoyens et la Justice. Pour conclure RGB souhaite que l’« esprit de liberté imprègne les cœurs des citoyens ». « Oyez oyez oyez ! », comme l’annonce le chef du protocole lors d’ouverture des séances à la Cour suprême.
RBG est au cinéma dès ce mercredi 10 octobre 2018.
NOLDS.
Notes :
(1) La première femme, Sandra Day O’Connor, a été nommée en 1981 par Ronald Reagan. Son arrivée a été un événement, après 191 ans d’exclusivité masculine à la Cour suprême. O’Connor quitte son poste en 2005, à l’âge de 75 ans. George W. Bush la remplace par un homme. Par ailleurs, actuellement Ruth Bader Ginsburg n’est plus la seule parmi les juges de la Cour. Deux autres femmes sont désormais à ses côtés, Sonia Sotomayor, du Bronx, et Elena Kagan, de Manhattan.
(2) En 1970, Ruth cofonde le Women’s Rights Law Reporter, premier journal américain consacré aux droits des femmes. Et, en 1972, le Women’s Rights Project qui travaille sur plus de 300 cas de discriminations sexistes. Ruth fait valoir six cas de discrimination devant la Cour suprême entre 1973 et 1976, dont elle remporte cinq victoires.
De 1972 à 1980, elle enseigne à l’Université Columbia, où elle devient la première femme avec un poste titulaire. Elle est coauteure du premier ouvrage de références concernant les discriminations sexistes. De 1977 à 1978, elle devient chercheuse au Centre pour les études avancées en sciences du comportement à l’Université Stanford.
(3) En revanche quant au rétrograde pape François, aujourd’hui, il déclare au Vatican qu’« avorter c’est comme avoir recours à un tueur à gage ».