« Blessure » exposition de Salgado à Paris

Blessure au cœur de l’Amazonie brésilienne est la nouvelle exposition du photographe Sebastião Salgado. À voir à l’Espace Krajcberg – Paris XIVè.

Depuis le 25 septembre Salgado occupe l’Espace Krajcberg (1) avec ses œuvres tout en harmonie avec celles de son créateur, Frans Krajcberg. Les deux artistes exposent ensemble la Blessure(2) de la forêt. Et ce jusqu’au 24 février 2021.

Neuf photos inédites pour pointer la Blessure

Frans Krajcberg ©Juan Esteves
Sebastião Salgado, 2014 ©José Cruz
Frans-Krajcberg
Frans Krajcberg ©Juan Esteves

Et pour illustrer cette exposition, celui qui regarde et dessine le monde par des ombres et des lumières a sélectionné neuf de ses clichés sur l’Amazonie. Ce sont des prises de vues inédites de la mythique forêt amazonienne. Où le photographe n’a fixé sur la pellicule que des éléments naturels. Tout comme le faisait Krajcberg : sans que l’homme soit, physiquement, visible. « Krajcberg n’avait pas besoin de montrer l’être humain puisque son œuvre c’est l’Esprit de l’être humain », note Sebastião Salgado. Car, dans son œuvre, Krajcberg met en exergue « la destruction de notre environnement par l’homme ». Voilà pourquoi, pour Blessure, Salgado a « aligné le choix de [ses] photos sur ce même principe ».

Blessure – l’Amazonie pourrait disparaître

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Blessure, État de Acre, Brésil, 2016 ©Sebastião Salgado

Certes, ici, ne sont présents que les vestiges des empreintes de l’Homme. Ce sont des blessures captées par le célèbre photographe du noir et blanc. Or ces suites d’empreintes accusent le passage meurtrier des gens irrespectueux et avides.

Par exemple l’une des photos révèle un contraste très accentué d’arbres coupés ceinturant une ferme. Salgado raconte : « Avec un petit groupe de scientifiques de la FUNAI [Fondation nationale de l’Indien], je survolais un territoire d’indiens isolés qui n’avaient jamais été contactés. Je voyais cette blessure qui s’approchait déjà d’eux. Nous rentrions dans la région des isolés et, juste à côté, il y avait déjà cette énorme blessure » menaçant leur habitat.

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Blessure, État de Maranhão, BR, 2013 ©Sebastião Salgado

En effet cette blessure contraste avec la beauté unique de la majestueuse forêt du Brésil. Résultat, c’est à la fois beau et déchirant. D’un côté il y a la qualité de la prise de vue saisie par l’objectif d’un homme doté d’un style marquant et, de l’autre, la fragilité d’une forêt grandiose face à la menace envahissante de la bête humaine. Alors cette exposition photographique est là pour révéler que la forêt est dans une souffrance extrême. Et cela pourrait lui être fatale.

Aux dépens de l’un de nos poumons

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Blessure, État de Amazonas, BR, 1998 ©Sebastião Salgado

Or l’actuelle exposition de celui qui est devenu une star « suite à la photo (1981), se souvient un diplomate brésilien, de l’attentat contre le président américain Ronald Reagan » tombe à pic maintenant. Car la forêt amazonienne a besoin plus que jamais d’actions, pour ne pas périr à un écoside galopant. En effet, aujourd’hui son écosystème est à bout de force. Puisqu’il est surexploité par des fermes plus que gigantesques de la puissante agro-industrie qui s’y sont installées.

De plus l’actuel président brésilien ne veut pas entendre raison. Pour Jair Bolsonaro, élu en 2018, il faut détruire l’Amazonie pour laisser la place à l’élevage bovin, aux cultures de soja transgénique, aux extractions des minerais, pour en retirer des dollars.

Selon Ecosiablog (15/07/2019), après l’arrivée au pouvoir de cet adepte de l’église évangélique, « en à peine 6 mois, il y a eu une hausse vertigineuse de la déforestation de 84%… La présidence de Bolsonaro est devenue une menace pour l’environnement, les groupes indigènes et les droits humains ». En outre ce Président d’extrême droite a « récemment, dans un mensonge éhonté, nié la réalité même des incendies, signale Cyberacteurs.org. Tandis que son ministre de l’Environnement, Ricardo Salles, explique dans une vidéo publiée en mai qu’il comptait « profiter de l’opportunité du fait que la presse soit focalisée sur le Coronavirus » pour assouplir les règles de protection de l’Amazonie ». Alors que son écosystème est reconnu internationalement comme un régulateur du Climat.

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Blessure, État de Amazonas- BR 2019 ©Sebastião Salgado

C’est pour cette raison que le fameux photographe engagé dénonce encore cette politique. Et Blessure est là pour défendre une forêt pluviale considérée « essentielle pour tous ». Rappelons qu’en Amazonie se trouve aussi l’une des plus importantes bio-diversités de la Planète. Ses terres abritent environ 25% d’espèces de végétaux et d’animaux du monde.

Déboisement irréversible

Par ailleurs le photographe de 76 ans, de grande stature au crâne dégarni et sourcils épais en bataille, raconte qu’en « travaillant sur l’Amazonie vivante [il a] aussi vu l’Amazonie morte ». Ainsi les photos choisies pour cette exposition montrent une Nature « blessée », pour alerter qu’elle peut mourir de ces blessures.

Oui l’Amazonie est devenue une source de préoccupation majeure pour Humanité. Selon Envol-vert.org de nombreux experts alertent que si la déforestation continue cette immense forêt pluviale deviendra une savane. « Dès lors que l’on dépasserait le seuil de 20% à 25% de déboisement » ce sera irréversible. Au Brésil ce seuil est déjà de 20%. Les scientifiques sont clairs : « Si aucune action radicale n’est entreprise maintenant, l’Amazonie enclenchera un cycle de désertification et atteindra un point de non-retour ».

Des forêts pour respirer

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« Blessure » Domaine des Salgado,
en 2001, Bulcão, Aimorès, MG-BR ©Inst. Terra
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Domaine des Salgado en 2013 avec 2 millions d’arbres, Bulcão, Aimorès, MG-BR, 2013 ©Inst. Terra

Pour y remédier Salgado martèle : « Nous devons récréer ces forêts de par le monde entier. Elles sont l’essence de nos vies puisque nous avons besoin de respirer ». Son discours à Atlanta, États-Unis, en 2013, éclaire : « L’unique usine capable de transformer le CO2 en oxygène c’est la forêt. La seule machine capable de capturer le carbone que nous produisons ce sont les arbres. Le manque d’oxygène tue ».

Passionnés des arbres

Néanmoins au-delà d’exposer des évidences pour éviter la mise à mort de l’Amazonie, Blessure est aussi « un hommage à Frans Krajcberg (1921 – 2017) et à son positionnement politique », explique Salgado.

En effet ces deux artistes passionnés des arbres se connaissent bien et « travaillent sur la même chose ». Les deux replantent aussi des arbres dans la forêt brésilienne appelée Mata Atlântica(3) où se trouvent leurs maisons. Tous deux reconstruisent donc la même forêt, mais à 400 km l’un de l’autre.

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Sebastião et Lélia Salgado ©Instituto Terra

Krajcberg à Nova Viçosa, dans l’état de Bahia, et Salgado avec son épouse Lélia Deluiz Wanick à Aimorés – Minas Gerais.

Où grâce aux arbres lui aussi s’est rétabli d’une dépression, suite à un reportage au Rwanda. Ces humanistes sont donc des voisins, dans cet immense Brésil dont la superficie équivaut à 15,5 fois la France métropolitaine.

Krajcberg

Mais Krajcberg fait aussi appel à « une nouvelle éthique de la création artistique ». Pour lui « l’artiste doit être au cœur de tout projet de civilisation : intégralement et radicalement ». En outre ce grand artiste brésilien, d’origine polonaise, est l’un des premiers à s’être engagé dans ce qu’il appelait « le grand combat du XXIè siècle ». Soit la préservation de notre planète.

Frans Krajcberg-Brésil
Brésil ©Frans Krajcberg

Déjà dans les années 85-90 ce sculpteur, peintre, photographe, témoigne et dénonce les incendies dévastateurs de la forêt brésilienne. Résultat : il reçoit des menaces de mort. Tel son ami Chico Mendes (1944 – 1988), assassiné au Acre (Nord-Ouest du Brésil), lorsqu’il défendait les récolteurs de latex d’Amazonie.

Par ailleurs, Krajcberg se définissait comme « un homme blessé ». Blessé par les nazis qui ont exterminé sa famille et ses amis dans la Shoah. Mais il arrive à guérir de cette plaie profonde par le contact des arbres brésiliens. Dès lors, son objectif est de protéger la biodiversité qui, comme lui, dépend de la forêt pour survivre.

Un cri de révolte pour la Planète

Bref, pour Krajcberg l’arbre est un « ami ». Ainsi, après les déboisements par le feu, il récupère ses morceaux brûlés qu’il appelle des « rescapés ». Alors il sculpte ces bouts de bois calcinés, ramassés dans la forêt atlantique. Et il s’applique à leur donner une autre vie, afin de ressusciter la forêt détruite par l’homme. Car, pour lui, ses sculptures symbolisent « la tourmente et la résurrection de la forêt assassinée ». En revanche, entre autres, il découvre « l’étonnante capacité de résilience d’une nature dont la beauté l’inspire au quotidien ».

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Espace Krajcberg, Paris XIVè ©Espace Krajcberg

Alors Krajcberg prend instinctivement son appareil photo pour témoigner dès que des feux déforestent. En 2005, lors de l’année du Brésil en France, il lance son « Cri pour la planète » dans une grande exposition à Bagatelle. Puis, en 2015, à la COP-21 il reçoit des leaders amérindiens dans son Espace. En 2017, il est le premier artiste lanceur d’alerte invité au Musée de l’Homme de Paris pour parler de la question clé : « Où allons-nous ? ».

Une source de vie

En somme Salgado et Krajcberg plaident contre le pillage des ressources naturelles et le besoin de protéger toutes nos forêts. Pour eux les écosystèmes sont une préoccupation constante puisqu’ils sont essentiels pour la Terre.

NOLDS.

Notes  :

(1) Frans Krajcberg a créé cet Espace dans son atelier à Paris pour rassembler autour de lui des personnes souhaitant s’engager au service de la Vie, de l’Art et de la Planète.

(2) Blessure réservation souhaitable au 09 5058 4222 pendant l’épidémie du Coronavirus.

(3) Pour l’Unesco la Mata Atlântica est l’une « forêt ombrophile des plus riches du monde du point de vue de la biodiversité ». La forêt atlantique se trouve dans le littoral du Brésil et à l’intérieur de ses terres. Elle s’étend du Nord au Sud du pays.