« Memory house » enfin en salles depuis ce 31 août 2022

Un premier long métrage du Brésilien João Paulo Miranda Maria. En sélection officielle au Festival de Cannes 2020. L’année sans Festival, vu la pandémie du coronavirus et la fermeture imposée aux lieux culturels.

Memory house de João Paulo Miranda Maria débute par un son ambiance avant le générique qui défile à l’envers. Cela peut indiquer la remontée du temps, puisque ce film parle aussi des origines.

Certes les premières images font penser à la science fiction. Car c’est spatial avec un blanc laiteux au milieu de vapeurs et d’immenses cylindres argentés. L’on est dans l’usine flambant neuve de la famille Kainz, où se trouve Cristovam. Or l’ouvrier paraît désemparé dans cette combinaison cosmonaute, d’un blanc immaculé aux reflets argentés. Avec un gant de protection qui se troue malgré son cuir doublé…

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João Paulo Miranda Maria ©Bebossanova Entretenimento

La laiterie Kainz

Puis, Cristovam est dans un entretient individuel face au patron. Sauf que celui-ci ne parle pas le brésilien. Du coup, c’est en allemand que Cristovam apprend que : « Après 20 ans de bons services dans entreprise, vu la crise, il aura une baisse de salaire ». Mais cet employé simplet et âgé, interprété par le formidable Antônio Pitanga, ne saisit rien du charabia germanique patronal. Du coup, il demande à la secrétaire de lui traduire.

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Cristovam, « Memory house » ©Bebossanova Entretenimento

Aussi, dans ce contexte, cet homme se retrouve dans une salle de conférence au devant de la scène. Où, tout autour, il y a une immense image avec ciel, lac et sapins entourant une montagne enneigée. Et c’est encore en allemand que la direction annonce : « Nous ne voulons plus recevoir des ordres des fainéants du nord… Fini avec leur corruption… Avec la crise, ils nous écrasent davantage. Notre pays est  » le sud « . Obrigado (merci, en brésilien). »

En fait, désormais, l’usine Kainz siège dans une colonie autrichienne au sud du Brésil. D’où la délocalisation de Cristovam. Dans le film ce vieil homme noir représente aussi une figure mythique de la culture populaire. Car Cristovam est un Brésilien afro-indien originaire de l’État de Goiás, dans le centre-ouest. Alors dans ce lieu conservateur et reculé du sud, il est considéré comme un « venu du nord ». Ce qui lui donne le sentiment d’être un étranger dans son propre pays.

Suite au discours, il est demandé aux employés de signer une pétition pour le referendum de la sécession. Afin que le « sud » devienne indépendant avec ses quatre états (São Paulo, Paraná, Santa Catarina et Rio Grande do Sul). En fait « ce sud » veut diviser le Pays. Alors que, au moment de la 2ème guerre, le Brésil a accueilli les immigrants européens et leur a donné ses terres. Mais, sans rien comprendre à l’allemand, Cristovam fait comme les autres. Il signe.

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Cristovam (Antônio Pitanga) joue de la corne ©Bebossanova Entretenimento

Un homme mis sur la touche

Ainsi, dans Memory house le solitaire Cristovam n’a pour compagnie qu’un chien et les vaches. Et, pour eux, il se plaît à jouer sur une immense corne appelée « berrante », au milieu d’une belle Nature.

La maison des antiquités et des mémoires

Alors le temps passe et, un jour, Cristovam voit dans le bois une vieille maison abandonnée. Il s’installe. Elle sera son refuge. Mais cette maison semble habitée comme s’il avait de la magie. Ici il commence à délirer. En effet des objets apparaissent à leur gré. Et il pense que certains viennent de ses ancêtres. Bref, Cristovam se connecte avec son passé pour mieux supporter ce présent trop violent.

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Film « Memory house » ©Bebossanova Entretenimento

Mais même ce bonheur est de courte durée. Car des gens y passent. Des adolescents armés viennent l’insulter et l’agresser jusque là. Cristovam voit aussi un tag sur le mur : « rentre chez toi négro ». Alors pour enlever cette inscription, le vieil ouvrier la gratte. Ainsi l’historique du mur fait surface. Or, auparavant, il y avait une affiche d’un cowboy type Roy Rogers et, au-dessous, des dessins pré-historiques. Du coup, tout ça va provoquer une métamorphose dans ce brave ouvrier qui en a marre…

Une atmosphère de dictature

Voilà comment le cinéaste, né à São Paulo, met en évidence le grand écart entre les riches du sud originaires d’Europe, et les pauvres du nord, descendants d’Africains et d’Indiens. À cette fin, il choisit « une atmosphère des années 70 ». Afin de rappeler « l’époque de la dictature au Brésil (1964 – 1984), durant laquelle les artistes et les citoyens ont souffert de la censure et de la torture », confie João Paulo Miranda Maria. Et dans ce film l’on voit « une métaphore » d’un Brésil autant perdu que lors de l’élection présidentielle de 2018, qui a élu Jair Bolsonaro.

Un cadre réel

Car Memory house met en scène des différences culturelles et ethniques, flagrantes dans cet entourage hostile. Où se suivent : humiliations, intolérance, préjugés, racisme.

Or, dans ce premier long-métrage, João Paulo Miranda Maria filme des gens de la région. Il tourne dans un lieu où tout est réel et où vit encore, aujourd’hui, une communauté autrichienne traditionnelle.

L’acteur Pitanga

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Cristovam dans le Sud « Memory house » ©Bebossanova Entretenimento

Ainsi Memory house montre un Brésil bien différent des images clichées. À travers le portrait d’un « authentique travailleur brésilien, affirme Antônio Pitanga, ravi d’avoir joué ce rôle ».

Sans doute le comédien Antônio Pitanga, 83 ans, est une belle star. En 1962, il est dans la peau de Mestre Coca dans le film « O Pagador de promessas », titré en français La Parole donnée. Un film d’Anselmo Duarte qui est la seule réalisation brésilienne à avoir reçu la Palme d’or à Cannes.

« Memory house » peu bavard, riche en nuances et sons

Quant à Memory house  son histoire est bien différente. C’est presque une triste fable avec très peu de dialogues et toute en nuances.

Sa bande-son signée par Léo Bortolin ponctue les images accompagnée de percussions et de chants avec le refrain : « C’est l’heure. C’est le moment de prier ». Or dans ce film beaucoup de choses se passent dans le son. Mais aussi dans la respiration, dans les silences, dans le regard, dans l’ambiance, dans l’atmosphère, dans la lumière.

Sans parler de belles images de Benjamin Echazarreta(*), qui offrent à ce Français le prix de la Meilleur photographie pour Memory house au Festival du film de Stockholm en 2020.

Enfin, ce film avec un côté fantastique est un cri d’alarme qui appelle à un peu plus d’humanité dans le monde. Le cri d’une population désespérée qui n’arrive pas à faire entendre sa voix.

Car Memory house en dit long sur le Brésil. Espérons que ce beau pays trouvera une meilleure voie en octobre, lors de la prochaine élection présidentielle.

Un film fort à ne pas manquer. Et un réalisateur à suivre.

NOLDS.

(*) Benjamin Echazarreta est le directeur de la photographie, entre autres, des films chiliens Une Femme fantastique qui a reçu l’Oscar 2018 du Meilleur film étranger et Gloria, sélectionné en 2014 aux Oscars.