« Marias do Brasil » au Théâtre du Châtelet à Paris

Le Théâtre du Châtelet rend hommage aux cantatrices Joaquina Maria Lapinha et Maria d’Apparecida.

MARIAS DO BRASIL est un spectacle magnifique. Il met en lumière deux grandes chanteuses lyriques majeures. Ce sont les talentueuses métisses Joaquina Maria Lapinha (av 1786 – ap 1811) et Maria d’Apparecida (1926 – 2017).

Lapinha – pionnière du féminisme au Brésil

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« Marias do Brasil au « Théâtre du Châtelet

Joaquina Maria da Conceição Lapa est la première chanteuse lyrique brésilienne dont la voix traverse les frontières. Cette actrice-chanteuse de Minas Gerais connue comme Lapinha mène une carrière à Rio. Puis elle part, avec sa mère Maria da Lapa, en Europe. Notamment au Portugal où elle reste à l’affiche de 1791 à 1805. Par ailleurs, La Gazeta de Lisbonne ne tarit pas d’éloges sur son talent. Or ses fréquences vocales appelées coloratura lui permettent de chanter très vite plusieurs sons aigus brillants.

Ainsi l’écrivain suédois Carls Israel Ruders(1) (1761-1837) note que Joaquina Lapinha « s’impose sur scène par sa belle voix et son sentiment dramatique ». Néanmoins, il observe que, pour monter sur scène, Lapinha doit se maquiller pour « blanchir sa peau ».

Au Brésil la touchante et spectaculaire soprano Joaquina Maria Lapinha reste une pionnière. Non seulement de la musique mais aussi de l’émancipation féminine.

Voilà pourquoi, en 2014, à Rio, le théâtre Clara Nunes prête hommage à cette Callas brésilienne avec le musical Lapinha. Au-delà de l‘école de samba G.R.E.S. Inocentes de Belford Roxo lors du Carnaval. Dont le thème du défilé est « Le Triomphe de l’Amérique : le chant lyrique de Joaquina Lapinha ».

Maria d’Apparecida cantatrice et muse

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Maria d’Apparecida

Quant à Maria d’Apparecida Marques (1926 Rio -2017 Paris) elle est Carioca, mais aussi métisse, cantatrice et chanteuse de musique populaire. Âgée de 7 ans, elle perd sa mère, Dulcelina Marques. Alors la famille où sa mère travaille l’élève, sans pour autant l’adopter. Ainsi dans cette famille aisée l’enfant peut étudier le piano, le chant, la danse, la langue française, et devenir institutrice.

Et voilà que Maria d’Apparecida évolue dans le milieu artistique de Rio de Janeiro. Où elle reçoit des prix lyriques, est la lauréate du concours de « La plus belle métisse du Brésil », devient actrice. Mais, vu la difficulté d’être noire et artiste lyrique au Brésil, en 1955 Maria d’Apparecida décide de partir chanter en Europe. Puis, l’année suivante, à l’âge de 30 ans, elle poursuit sa carrière en s’installant à Paris. Sauf qu’en 1974 suite à un grave accident elle doit l’arrêter. Pour revenir, en 1977, avec un nouveau répertoire et un enregistrement avec le guitariste compositeur Baden Powell.

Mais le temps passe. Et, peu à peu, la muse du peintre Félix Labisse (1905 – 1982) s’isole. Et en 2015 elle rompt tous liens avec son entourage. D’Apparecida meurt avec 91 ans le 4 juillet 2017 dans son appartement au 19 rue Auguste Vacquerie, à Paris XVI. Or, sans famille, elle ne sera enterrée que deux mois plus tard après être restée à l’Institut médico-légal. Et voilà que l’association des Amis de Maria d’Apparecida se créé. Une plaque commémorative sera apposée sur son l’immeuble. Aussi l’auteur Mazé Torquato Chotil écrit un livre Maria d’Apparecida, une Maria pas comme les autres.

Théâtre du Châtelet : Bruno de Sá et Luanda Siqueira

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La soprano Luanda Siqueira et le guitariste baroque Leonardo Loredo de Sá ©RDI NODS
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Le sopraniste Bruno de Sá et le contrebassiste Jean-Marc Faucher ©RDI, NODS, Théâtre du Châtelet

Or, ce dimanche 6 juillet, au Théâtre du Châtelet ces deux talentueuses femmes d’origine afro-brésilienne revivent. Grâce aux superbes voix du sopraniste Bruno de Sá et de la soprano Luanda Siqueira.

Car leurs voix dégagent de flux vivifiants aussi bien dans le classique, comme Ninfas do Tejo ameno de José Maurício Nunes Garcia (1767 – 1830), que dans l’opéra comique tel Corta-Jaca de Chiquinha Gonzaga (1847 – 1935). Ou encore dans le populaire brésilien Uirapuru de Waldemar Henrique (1905 – 1995).

Marias do Brasil : musique et voix de rêve

En clair, Bruno de Sá et Luanda Siqueira remplissent d’un bonheur magique la majestueuse salle du Théâtre du Châtelet. D’ailleurs ce théâtre parisien, dont l’acoustique est remarquable, est partenaire de La Semaine du son. En outre ici les artistes bénéficient autant d’un renforcement sonore discret que des ingénieurs du son respectueux de la dynamique naturelle de leur voix.

Ainsi leurs voix mélodieuses si pures d’émotions font jubiler un public conquis, qui exulte en applaudissements.

Sans parler de la danse de leurs corps : fluides, souples, pleins de beauté et de rythme dans de beaux costumes originaux. Et les musiciens de l’Ensemble Americantiga : accordéon, clarinette, cordes, guitare baroque, piano, tambourin. Un orchestre impeccable dirigé par le maestro Ricardo Bernardes. Et créé par ce Brésilien il y a 30 ans.

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NOLDS, Bruno de Sá, Luanda Siqueira ©RDI FL

Une mise en scène soignée

Résultat : c’est une très très belle performance. Dès le début de la représentation, le théâtre est bercé par de chant doux d’oiseaux de la forêt, et du son des vagues de l’Océan Atlantique. Des vagues qui immergent sur un rideau transparent sur la scène. Dans d’autres moments, selon la musique, ce sont des archives, photos et films d’époque qui sont projetés. Comme ces images de Grande Otelo sur scène avec Maria d’Apparecida.

D’autres moments, selon la musique ce sont des archives photos et films d’époque qui sont projetés. Comme ces images de comédie avec Grande Otelo et Maria d’Apparecida.

Ou encore ces superbes incrustes de gravures colorées, comme celles d’Épinal, d’esclaves noirs au travail. Ces peintures remplissent peu à peu la scène du bas vers le haut. Sans oublier que toute l’animation vidéographique est de Vic Von Poser.

Bref Marias do Brasil est d’un récit scénique unique, différent, entrecoupé par la voix off de l’actrice Camila Pitanga. Tel un fil conducteur elle narre le parcours des deux divas, méconnues à cause de la censure stupide du racisme des blancs. Tandis que le duo virtuose, de Bruno de Sá et de Luanda Siqueira interprète, habillé en beaux costumes originaux. Cette mise en scène est signée par Ligiana Costa. Alors que la dramaturgie est de Sofia Boito et Ligiana Costa.

À la fin de ce récital mis en scène, Maria d’Apparecida chante A Volta (Le Retour) avec Baden Powell.

Avec cette équipe de virtuoses, Marias do Brasil est un spectacle à ne jamais manquer.

NOLDS.

Notes :

(1) RUDERS, 2002, v. 1, p. 93-94.