Interview de Fellipe Barbosa au Festival de Cannes 2017

Rencontre au Festival de Cannes 2017 avec le réalisateur de « Gabriel et la montagne »

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Fellipe Barbosa, espace de la Semaine de la Critique, Cannes ©RDI

Interview de Fellipe Barbosa réalisateur et scénariste de « Gabriel et la montagne ». Dans ce biopic, entre documentaire et fiction, le cinéaste raconte les derniers 70 jours, en Afrique, d’un économiste brésilien chercheur en éducation. Une belle aventure pour garder en vie un ami.

 

 

Regard’infos : Bonjour Fellipe Barbosa. Quels sont les liens entre vous et Gabriel Buchmann, qui a inspiré votre deuxième long métrage « Gabriel et la montagne« , ovationné à la Semaine de Critique et primé deux fois à Cannes ?

Fellipe Gamarano Barbosa : Gabriel Buchmann est un ami d’enfance, de l’école primaire. Nous avons étudié ensemble dès l’âge de 7 ans au São Bento, qui est par ailleurs la même école où se passe mon premier film « Casa Grande(1)« .

RDI : Comment interpréter cette scène, très touchante, où Gabriel enterre la photo de son père au sommet du Kilimandjaro ?

F.G.B. : C’est bien que vous me parliez du père, parce que pour moi cette question est très importante, et vous êtes la première à me la poser. Alors que c’est le fil conducteur du film. C’est même la clé.

Parce que le personnage de Gabriel est un personnage qui n’a pas grand objectif dans sa vie. S’il a un but c’est justement la recherche d’un remplaçant, pour ce père qui est décédé depuis 4 ans. Alors que Gabriel avait 24 ans.

Et tous ces guides qu’il rencontre sont des figures paternelles. Comme s’il recherchait un nouveau père. Et, pour moi, il trouve ce père en Luke [Mpata] ; le camionneur qui finalement lui prête attention. Et demande comment il s’est blessé la main, avant de la soigner, avec une attention tout à fait paternelle. Ainsi Gabriel n’a plus à chercher ce père qu’il voulait trouver.

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Fellipe Barbosa, ITW, Cannes 22/5/17 ©RDI

RDI : Auriez-vous un scoop pour regardinfos.com ?

F.G.B. : Alors je vais vous raconter une histoire impressionnante du tournage. Je ne l’ai encore racontée à personne.

Nous avons beaucoup utilisé les costumes et le matériel du vrai Gabriel. Comme son habillement Massaï, sa machette, son appareil photo, sauf les gants. Puisque nous n’avions déjà qu’un seul, qui a été retrouvé sur lui, mais qui était en très mauvais état.

Du coup la production en a acheté une paire. Mais à la veille du dernier jour de tournage, quand nous tournions la scène où il disparaît dans la brume. Un lieu qui est déjà difficilement accessible avec tout le matériel, et qui nécessite des longues heures de marche. Eh bien, ce jour là, on a perdu les gants du personnage. Et le responsable artistique, Pedro von Tiesenhausen, qui est un professionnel génial, s’est senti très mal parce c’était de sa responsabilité et il était vraiment attristé.

Gabriel-et-la-montagne, Affiche, Semaine-de-la-Critique, Festival-de-Cannes-2017
« Gabriel et la montagne », primé deux fois à la Semaine de la Critique.

Un signe de Gabriel

Du coup, le lendemain il n’est pas venu au tournage. Et l’on m’a appelé pour me dire :

– Fellipe, Pedro n’a pas trouvé les gants. Est-ce qu’il peut se joindre à vous ?

– Pour l’amour de Dieu ! Bien sûr qu’il vienne sa présence est très importante. Je m’en fous de ces gants ! Il a perdu les gants de Gabriel, et alors ? On fera sans, je n’ai pas besoin de ces gants !

Enfin Pedro est arrivé, on s’est donné une accolade, il m’a demandé pardon. Je l’ai rassuré : « Pas de souci ! »

Du coup il m’a demandé s’il pouvait rentrer dans le nid, que Gabriel avait construit comme abri, pour les besoins artistiques. Et il est resté 5 minutes à méditer. Et tout d’un coup, il est ressorti avec une autre paire de gants de Gabriel.

Ça donne la chair de poule, non !? Toute l’équipe était vraiment impressionnée. Selon Pedro, c’est Gabriel qui voulait nous faire un signe.

RDI : Pour vous Fellipe, quelle est la chose plus importante dans la vie ?

F.G.B. : C’est l’amour !

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Fellipe Gamarano Barbosa, Cannes ©RDI

RDI : Et pour Gabriel, qu’en pensez-vous ?

F.G.B. : Gabriel était surtout une personne extrêmement amoureuse de tout, de la vie. Il est parti pour une mission de paix, qui a évidemment révélé diverses contradictions tout au long de son voyage.

Au-delà d’être quelqu’un de très généreux, très humaniste, très amoureux, il est aussi à la fois très égoïste, très arrogant. Bien qu’il ait un comportement hippie, détaché, il s’attache facilement. En dépit d’être un voyageur décontracté, c’est un économiste néolibéral. Et on peut trouver toutes ces contradictions dans un seul être cohérent et aimable.

Je voulais montrer aussi ce côté du personnage parce que il y a au Brésil, en ce moment, beaucoup de sectarisme. Les personnes ne s’écoutent pas. Elles ne veulent pas s’entendre, d’où qu’elles soient et de quels que soient les bords. Personne du coup n’a aucune chance dans ce type de discussion. Parce que le sectarisme est très violent, et les gens se plaignent que le Monde est dans une phase violente. Sauf que rares sont ceux qui font des efforts pour aller vers la paix. Et Gabriel lui justement était dans une mission de paix. C’est pour ça qu’il est un personnage difficile à comprendre pour beaucoup de gens, car il n’est ni cynique, ni violent.

Je pense d’ailleurs que la chose la plus importante dans la vie c’est l’amour et les actions envers la paix, qui demandent un effort et qui est une force. Une force qui doit être utilisée encore plus que la violence, mais en opposition à elle : et ça c’est possible.

RDI : Merci beaucoup.

 

Gabriel et la montagne sort en salles en août 2017.

Propos recueillis par NODS/Fç/YD.

Notes :

(1) « Casa Grande » ce premier long métrage du brésilien Fellipe Barbosa met en scène un jeune de l’élite bourgeoise de Rio. Jean,17 ans, vit chez ses parents, alors que ceux-ci essayent de cacher leur banqueroute pour sauver les apparences sociales. Ce film au-delà de montrer la manière dont cohabitent les blancs (riches) et les noirs (pauvres), dans la société brésilienne, exprime aussi la volonté de l’adolescent de sortir du cocon familial qui l’étouffe quelque part. Link : Bande annonce « Casa Grande » de Fellipe Barbosa

(2) L’entretien entre Neïde Olívia De Souza et Fellipe Barbosa a été réalise le 22/5/17.