Tour de France vu par Albert Londres

Le Tour de France c’est une compétition cycliste, mythique, qui connaît toujours une ferveur populaire. Or le journaliste Albert Londres, qui a suivi ce Tour en 1924, donne une version bien moins plaisante dans son livre « Tour de France, tour de forçat », réédité par L’esprit du temps.

Car le grand reporter, Albert Londres(1) suit le Tour de France entre le 22 juin et le 20 juillet 1924 pour le Petit Parisien. Où il écrit, dans un style vif et précis, douze articles sur ce qu’il nomme un « Tour de souffrance ».

Albert-Londres-journaliste
Albert Londres, journaliste

En effet, son article le plus célèbre, et qui traverse le temps, est titré « Les Pélissier abandonnent ». Or au cours de la troisième étape Cherbourg (50) – Brest (29), Henri Pélissier (1889 – 1935), vainqueur du Tour 1923, et son frère Francis Pélissier (1894 – 1959) ainsi que leur coéquipier Maurice Ville (1900 – 1982) abandonnent brusquement l’épreuve pour contester.

Au café de la gare de Coutances (50), ils expliquent à Albert Londres les raisons de leur abandon. Or, il s’agit, avant tout, d’un manque de respect de la part des organisateurs. Car Henri Pélissier raconte qu’un commissaire, sans lui adresser la parole, soulève son maillot pour voir s’il n’y en a pas un autre en dessous, puisque c’est interdit même en cas de grand froid d’avoir deux maillots sur soi. « On n’est pas des chiens », proteste Henri Pélissier. Mais les critiques s’élargissent…

Un calvaire sur deux roues

Henri-Pélissier-devant-Francis Pélissier
Henri Pélissier s’impose devant son frère Francis, TDF 1924

« Vous n’avez pas idée de ce qu’est le Tour de France. C’est un calvaire », accuse le vainqueur de l’édition 1923. Albert Londres relate que « de son sac, Pélissier sort une fiole :Ça, c’est de la cocaïne pour les yeux, ça, c’est du chloroforme pour les gencives… Et des pilules ? Voulez-vous des pilules ? Tenez, voici des pilules ». Ils en sortent alors trois boîtes chacun. « Bref, dit Francis Pélissier, nous marchons à la dynamite ». Et Henri, insistant sur l’extrême dureté de l’épreuve, enchaîne « Eh bien! tout ça, nous l’encaissons… Ce que nous ne ferions pas faire à des mulets, nous le faisons ».

Le Tour de la France en 1924

Certes créé en 1903, le Tour de France est tout de suite devenu mythique et populaire. Et, surtout, en raison des efforts surhumains exigés des coureurs, surnommés « les Géants de la route ». Ce Tour 1924 comprend quinze étapes pour un total de 5425km. Chaque étape étant longue d’environ 400 km. Le peloton courait un jour sur deux.

Car le Tour de France ne volait pas son nom. Les coureurs répartis dans neuf équipes, six françaises, deux italiennes, une belge, faisaient effectivement le tour de l’Hexagone. Le départ était donné la nuit, l’arrivée souvent au crépuscule. Sur des routes souvent mauvaises, les crevaisons étaient nombreuses. Et le règlement, drastique. Les coureurs devaient trouver eux-mêmes un artisan pour réparer un problème mécanique inopiné. Sans avoir même pas le droit, lors d’une grosse chaleur, de boire au seau d’un paysan…

Géants de la route

Ottavio Bottecchia-col-du-Izoard-1924
Ottavio Bottecchia grimpe le col du Izoard, étape 10, 1924

En effet les 60 photos d’époque, publiées dans cette édition, illustrent bien le texte d’Albert Londres. Certaines d’entre elles sont marquantes. Comme, par exemple, celle d’un coureur italien tenant une roue dans chaque main, à la recherche d’un endroit où réparer. Ou celle du vainqueur de l’édition 1924, Ottavio Bottecchia (1894 – 1927), grimpant sur la route pierreuse du col du Tourmalet (65), celle d’un coureur français « le visage du forçat recouvert de poussière, de boue, véritable masque de fatigue », ou encore celle de deux coureurs dans le col d’Aubisque (64), sous la pluie, dans la boue. D’autres clichés révèlent aussi un paysage historiquement daté. Par exemple, les coureurs passant à Montdidier (80) près des ruines impressionnantes de la guerre 1914 – 1918. Ou le peloton entrant dans Paris (75) roulant entre deux magasins d’articles de pêche.

Dopage pas interdit

Par ailleurs, finalement, la révélation du dopage n’a pas tant frappé que la description des conditions quasi inhumaines du Tour de France. Le public et la presse estimaient qu’on ne pouvait pas courir une telle épreuve sans l’aide de certaines substances qui, d’ailleurs, n’étaient pas interdites à l’époque(2).

Mais, devant les révélations d’Albert Londres sur l’extrême dureté de l’épreuve, le public n’a pas plaint, mais admiré ces « géants de la route ». D’autant que ceux-ci couraient pour la gloire, pas pour l’argent. 

Alain Garabiol, article paru dans http://www.quartierlatin.paris/

Notes de Regard’Infos :

(1) Albert Londres (1/11/1884 – 16/5/1932), est un écrivain français et un journaliste de référence pour ses confrères. Ce chroniqueur parlementaire, reporter de guerre est en effet un homme engagé. De plus, ce grand reporter est considéré comme un aventurier droit et incorruptible. Il décède à l’âge de 47 ans, dans une nuit de 1932, lors d’un incendie dans le paquebot Georges Philippar, dans le golfe d’Aden (Yémen). Alors qu’il rentrait de Chine suite à une longue enquête.

(2) En 2021, après beaucoup de tours de roues, le Tour de France s’achève le dimanche 18 juillet, à Paris. Dans son actualité des soupçons de dopage médical et mécanique. Et, pour cette 108è édition du TDF, c’est le Slovène Tadej Pogacar, 22 ans, qui monte sur le célèbre podium des cyclistes.