« Sous les étoiles de Paris » met la capitale sur scène

Un film de Claus Drexel réalisé comme une belle fable des temps modernes.

Il était une fois une nuit hivernale où des flocons de neige tombent, dansant tout près de Notre Dame de Paris. Mais sur le quai un enfant couleur chocolat semble égaré, tandis que l’on entend des miaulements félins. Et quand le petit africain pousse une grille, entre deux ponts, la vieille grille grince…

Or dans ce local, exposé au bruit de roulement du métro, se réfugie une SDF. Elle se réveille, alertée par le grincement du portail …

Paris et ses mystères

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Catherine Frot (Christine) ©Sous les étoiles de Paris

Ensuite, devant la grille, tel un tableau flamand, dans la noirceur de la nuit la lueur d’une allumette illumine leurs visages.

– « Va-t’en ! Il n’y a personne ici ! » gronde de suite Christine Marchet, incarnée magistralement par l’actrice Catherine Frot. Alors elle pousse l’enfant dehors, referme la grille, et retourne au lit.

Cependant, cette femme ignore que son bon cœur va l’empêcher de dormir. Résultat : Christine se relève, sort de sa position confortable, puis ressort pour inviter le garçonnet dans son antre. Elle voit que le petit a faim. Il tremble de tout son corps, vu que ses habits sont trempés.

Du coup, la gueuse l’aide à se déshabiller, lui donne des habits secs, partage son repas. Puis, d’une voix autoritaire et éraillée, elle précise : – « Cette nuit tu restes ici ! Mais, demain, tu pars ! ».

Sauf que Suli, 8 ans, dans la peau de l’étonnant Mahamadou Yaffa dans son premier rôle, ne comprend rien à la langue de Molière. En effet, ce migrant ne sait parler que sa langue maternelle, le bambara(1) .

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Claus Drexel et Mahamadou Yaffa ©Sous les étoiles de Paris

Un intrus captivant à Paris

Certes le jeune migrant va bouleverser la vie de cette solitaire, qui semble plutôt sortir d’une grotte de Cro-Magnon. Car, dans ce taudis, Christine vit tranquille habituée à un rituel bien précis. Par exemple, le soir, éclairée à la lueur d’une bougie, elle se lave avec un gant de toilette et une bouteille d’eau. Avant de s’attabler pour dîner et lire « Sur la face cachée de la lune », devant une photo d’enfants…

Puis, les samedis, tôt le matin, avec ses deux cabas, elle quitte son refuge pour prendre le petit déjeuner à l’église. Où, sans dire mot, elle s’assied à table aux côtés des usagers de l’église de Saint-Leu-Saint-Gilles (75001). Dont des fidèles habitués jouent ici leur propre rôle.

En effet Christine parle peu. Elle ne communique surtout qu’avec les oiseaux de l’île de la Cité. Où, sous un arbre, entre deux bras de la Seine, elle échange avec eux gazouillis et sifflets. Où alors la misérable déambule dans les rues de la capitale, fouille dans les poubelles, fait la queue à l’heure de distribution des repas gratuits pour avoir un dîner à emporter dans sa grotte.

Un flash-back tout en flammes

En fait, dès le début du film, Claus Drexel(2) nous emmène par un flash-back à des images consommées par le feu qui se reconstituent. Par cette technique de retour en arrière, le réalisateur apporte des éléments afin de mieux comprendre le comportement de cette femme liée a un passé assez lourd. En effet, Christine est enfermée dans son histoire. De même qu’elle l’est dans le long manteau à capuche qui ne la quitte jamais.

Sans doute, au départ, l’arrivée de Suli embête cette figure peu commode au premier abord. Mais son comportement bascule. Or sa vraie nature se révèle dès qu’elle voit, dans une des poches du petit, un Avis d’expulsion de la préfecture de Paris. Aussi une photo, devant la Tour Eiffel, de sa mère avec lui. L’enfant est Burkinabé. Il s’appelle Suli Koumba. Et, dès lors Christine réalise le désarroi de ce petit migrant aussi perdu qu’elle…

L’espoir donne du punch

Comme dit le dicton « c’est dans l’adversité que l’on apprend à se connaître ». Ainsi c’est grâce à cette rencontre impromptue que cette femme, brisée, devenue clocharde, reprendre du poil de la bête. Désormais Christine veut aider cet enfant à retrouver sa maman, coûte que coûte.

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Christine et Suli ©Sous les étoiles de Paris
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Dominique Frot ©Sous les étoiles de Paris

Car, ensemble, les deux personnages partent dans une aventure, qui se traduit par un voyage à travers la ville lumière. En clair, cela donne une traversée de Paris jusqu’à Roissy, en passant des beaux quartiers aux plus populaires, pour arriver au centre de rétention administrative – CRA, du Bois de Vincennes (75012). Où la protagoniste Catherine Frot rencontre d’ailleurs sa sœur, l’actrice Dominique Frot qui joue une prostituée.

Paris et ses sans-abris stars d’un film

En outre le film Sous les étoiles de Paris est d’une beauté esthétique remarquable, grâce au talent du chef opérateur Philippe Guibert. Aussi ce bijou de comédie dramatique de Claus Drexel, co-scénarisé avec Olivier Brunhes, rend hommage à l’un des ses personnages : la ville de Paris. Tout en lançant un plaidoyer pour les sans-abris. En effet le film met en valeur ces gens courageux, qui, malgré la misère, gardent leur humour et leur joie de vivre.

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Claus Drexel, réalisateur ©Sous les étoiles de Paris

Par ailleurs Drexel invite l’un d’eux à chanter, à Montmartre, sur un playback du baryton-basse allemand Thomas Quasthoff, une très jolie chanson(3) de Schubert qui parle de la misère et de l’errance.

Bref, Sous les étoiles de Paris c’est comme une leçon de vie. C’est un film émouvant, frais et joyeux, tel un bon conte de Noël. Sauf que celui-ci semble bien plus que réel.

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©Sous les étoiles de Paris

Enfin longtemps privé de sortie, par les décisions d’un gouvernement pour lequel « le cinéma n’est pas essentiel », Sous les étoiles de Paris paraît en salles le 19 mai. Et, depuis la mi-juin, cette fiction est aussi visible en DVD, Blu-ray et VOD. Profitez-en donc pour le voir et le revoir.

NODS, YD.

Notes

(1)  Selon Wikipedia, le bambara est l’une des épreuves de langues facultatives du baccalauréat français. Ainsi le bambara fait partie des langues africaines que l’on peut présenter, à l’écrit, au Bac en France. Tout comme : le peul, le haoussa, le berbère, le swahili, le malgache et l’amharique. C’est intéressant à noter, alors qu’un débat sur l’enseignement immersif des langues régionales et bilinguisme a lieu en ce moment en Macronie.

(2) Ce scénariste, réalisateur et metteur en scène, est un Bavarois d’origine bulgare et juive par sa mère. Claus Drexel est très jeune quand il arrive en France. En effet, il n’a que trois ans, lorsque sa famille s’installe à Grenoble, où son père travaille dans la physique des particules. À Grenoble, Claus suit des études scientifiques avant de partir à Paris. Où il se spécialise dans le cinéma en passant par le son, le montage et la photographie.

Au départ, Claus réalise des courts-métrages. Dont La divine comédie (2000) avec Keir Dullea, l’acteur principal de 2001: l’odyssée de l’espace de Stanley Kubrick. Ensuite son premier long métrage, Affaire de famille (2008), est primé au Festival d’Avignon et au CNC – Centre national du cinéma et de l’image animée. Entre autres réalisations, il présent un documentaire sur les sans-abris, Au bord du monde, au Festival de Cannes 2013 dans la sélection de l’Acid.

(3) Winterreise n° 24 der Leiermann (Voyage d’hiver n°24 Le joueur de lyre), un lied (chanson), une très belle composition pour piano et voix, de Franz Schubert (1827) sur des poèmes de Wilhelm Müller.